Relations Printemps 2023 / Débat

Les politiques d’EDI : promotion de la diversité ou reconnaissance de façade ?

L’engouement récent des organismes publics et de l’entreprise privée pour les « politiques d’EDI », ces pratiques de gestion interne qui visent à promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion au sein des organisations, doit-il nous réjouir ou nous inquiéter ? Après tout, reconnaître par ce moyen l’apport de personnes historiquement marginalisées n’est-il pas une bonne chose ? Cependant, ces politiques comportent aussi leurs côtés sombres, dont la place souvent négligeable laissée aux personnes concernées lors de leur conception et de leur mise en œuvre, avec le danger de perdre de vue le caractère systémique des enjeux d’exclusion sociale. Ainsi, d’aucuns se demandent : faut-il y voir une récupération des luttes antiracistes, LGBTQ+, féministes, etc., ou une réelle occasion de transformation sociale ? Nos auteur.es invité.es en débattent.

L’autrice est étudiante à la maîtrise en Innovation sociale à l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul, à Ottawa

« Soyons unis » a été le message que je devais assumer et porter sur mes épaules, moi, seule femme racisée de l’organisation dont je faisais partie quelques jours après la mort de George Floyd, aux États-Unis. Cette expérience m’a grandement marquée, car, à travers elle, j’ai réalisé que je me faisais violence en restant dans un milieu de travail qui se disait ouvert et inclusif de façon superficielle. C’est ainsi que, du jour au lendemain, je suis devenue pour ce milieu « la référence » en termes de diversité et d’inclusion. Or, je n’avais jamais demandé à jouer ce rôle, même si la question de fond m’intéressait beaucoup, du moins pas dans un contexte où la société entière semblait enfin réaliser que le racisme et les discriminations systémiques existaient réellement. Des événements marquants comme la mort de George Floyd et celle de Joyce Echaquan, au Québec, ont été des éléments déclencheurs de cette prise de conscience de la société, qui pouvait voir concrètement, en direct, comment les forces policières et le système de santé sont défaillants.

Du fait d’événements comme ceux-ci, l’adoption d’une approche ou d’une politique d’« équité, diversité, inclusion » (EDI) est devenue un incontournable dans beaucoup d’organisations. Mais qu’est-ce que cela implique ? C’est une question qui me semble centrale lorsqu’on tente d’aller vers une transformation de nos milieux de travail.

Il faut d’abord reconnaître que les préoccupations entourant les notions d’équité, de diversité et d’inclusion existaient bien avant ces événements tragiques. Les enjeux du racisme et de la discrimination systémiques ne datent pas d’hier. Qu’il suffise de penser aux luttes menées par les personnes BIPOC[1], que ce soit dans le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, dans les mouvements de résistance autochtones comme lors de la crise d’Oka ou celle du saumon au Québec, ou encore, plus près de nous, dans des mouvements comme Black Lives Matter, Idle no More et Hoodstock. Ces luttes ont été menées par, pour et avec les personnes BIPOC et sont riches en connaissances acquises et en savoirs produits. Comment les organisations peuvent-elles tenir compte de ce long travail de mobilisation dans leurs efforts pour enrayer les différentes formes d’oppression ?


LES LIMITES DES POLITIQUES D’EDI

En voulant prôner plus de diversité et d’inclusion, nombre d’initiatives et de politiques mises en place au sein de diverses organisations produisent l’effet inverse : elles renforcent les stéréotypes, ce qui amène les personnes BIPOC à mettre en doute leurs compétences professionnelles. Les résultats d’une recherche sur les microagressions et la culture du silence démontrent les répercussions pour le moins déconcertantes de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, en insistant sur le fait que la discrimination positive cache aussi une discrimination négative[2]. Par exemple, on y apprend que les personnes BIPOC engagées par certaines organisations se demandent si elles l’ont été pour leurs compétences professionnelles ou pour répondre plutôt à l’exigence d’avoir « plus de diversité ». La discrimination positive peut, en effet, conduire à une forme d’instrumentalisation des personnes BIPOC, qui deviennent des « jetons de service[3] » (tokens) pour assurer une diversité de façade.

Que ce soit dans les milieux communautaire, public ou privé, le constat est le même : un manque de stratégies concrètes pour mener la lutte antiraciste dans le monde du travail subsiste. On y voit souvent les changements nécessaires pour y arriver comme un projet externe à l’organisation, c’est-à-dire comme la reconnaissance d’un problème social. Cependant, qu’en est-il à l’interne ?

Par crainte de perdre la face ou de commettre une erreur, plusieurs dirigeants et dirigeantes évitent le sujet, ce qui fait en sorte qu’iels n’établissent que peu ou pas de politiques d’EDI. Durant des formations et des ateliers sur le sujet, j’entends souvent dire : « Oui, mais c’est difficile et lourd de toujours penser à tous les changements qu’il faut apporter. » Imaginez alors ce que cela peut être pour ceux et celles qui vivent les oppressions et qui ont à adopter des stratégies de survie et de résistance tous les jours ! C’est indéniable, lorsqu’on veut apporter un changement individuel et organisationnel de cette importance, il faut faire preuve d’humilité et faire face à l’inconfort que ce sujet suscite, et cela constamment.


POUR UNE APPROCHE ANTIRACISTE

La mise en place d’une politique d’EDI dans les organisations est un travail qui nécessite beaucoup de temps et d’engagement. Il ne suffit donc pas d’admettre publiquement le problème de société puis d’en faire abstraction à l’interne. Il est certain que c’est un sujet qui déstabilise et qui crée des malaises auprès de ceux et celles qui bénéficient du statu quo. L’important est de rester concentré sur la nécessité d’agir pour mettre fin aux injustices vécues et aux barrières réelles rencontrées par les différents groupes marginalisés par la société. L’enjeu est de mettre de l’avant un antiracisme au quotidien.

L’approche EDI doit être réfléchie par, pour et avec les personnes concernées, soit celles qui vivent le racisme et la discrimination chaque jour. Pour qu’elle fonctionne, il faut (re)mettre ces dernières au centre des réflexions et des pratiques.

Finalement, cette approche est porteuse de valeurs importantes et capables de rendre nos milieux plus sains et sécuritaires. Il faut toutefois s’assurer de l’ancrer dans un changement profond de nos structures et de nos organisations. Privilégier une démarche antiraciste, c’est aussi reconnaître que le colonialisme est un aspect fondamental des systèmes d’oppression au Canada. Cela devient notre toile de fond pour entamer un processus de désapprentissage et de réapprentissage. Un changement systémique est indispensable, car c’est le premier pas vers une transformation organisationnelle des systèmes d’oppression qui sont profondément enracinés dans notre vision du monde, nos modes de travail et nos comportements.


[1] L’acronyme BIPOC signifie Black, indigenous, people of color (personnes noires, autochtones et de couleur).
[2] Lire Sophie Hamisultane, « Personnes descendantes de migrants racisées face aux micro-agressions : silence, résistance et communauté imaginaire d’appartenance », Nouvelles pratiques sociales, vol 31, n° 2, 2020, p. 163-181.
[3] Le tokénisme : qu’est-ce que c’est ? », Chronique Paroles de femmes : La discrimination positive, Sur le vif, Radio-Canada, 16 octobre 2019 [en ligne].

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