Relations Printemps 2022 / ÉDITORIAL

Il y a maintenant deux ans, en mars 2020, le Québec était « mis sur pause » pour faire face à la pandémie de COVID-19. Outre la vie telle qu’on la connaissait auparavant, c’est aussi le jugement critique d’une majorité de la population à l’égard du gouvernement Legault qui semble avoir été mis sur pause : après tout, la situation n’était-elle pas d’une ampleur inédite ? Qui pouvait prétendre faire mieux, vraiment ? C’est ainsi que malgré les nombreuses erreurs fatales (notamment dans les CHSLD) incohérences et aberrations dans la gestion des mesures sanitaires – sans oublier les mensonges éhontés du ministre de l’Éducation sur la ventilation dans les écoles –, on a globalement accordé le bénéfice du doute au gouvernement, en nourrissant l’espoir de voir la proverbiale « lumière au bout du tunnel » si nous étions « dociles ».

Le variant Omicron a mis un terme à cette indulgence. La cinquième vague de contagion qu’il a déclenchée a exposé à quel point le gouvernement caquiste a peu appris de ses erreurs, si ce n’est comment les camoufler en cherchant quelque bouc émissaire ou à grand renfort de mesures spectacles aussi inefficaces que liberticides, comme le couvre-feu, la « taxe antivax » ou l’imposition accrue du passeport vaccinal. Mais elle a surtout exposé à quel point la résilience du système de santé québécois a été réduite à néant par des décennies de politiques néolibérales visant notamment à le modeler aux pratiques et aux logiques du privé ainsi qu’aux exigences du déficit zéro. C’est bien ce désastre, dont est responsable toute la classe politique aux commandes depuis 30 ans, qui a justifié ici des mesures de confinement plus longues et contraignantes qu’ailleurs[1].

Cet effritement de la confiance à l’égard du gouvernement survient par ailleurs en même temps qu’un autre tournant dans cette pandémie, lui aussi conséquence du variant Omicron. L’espoir d’une solution ex machina apportée par la science biomédicale sous la forme d’un vaccin ou d’un traitement miracle, en effet, s’estompe de plus en plus. Il devient évident que ces outils ne sont ni le Saint Graal, ni la seule voie de sortie[2], surtout alors que l’injustice vaccinale à l’échelle mondiale favorise l’apparition constante de nouveaux variants en dehors de la forteresse sanitaire occidentale. Ainsi, l’illusion prométhéenne d’une maîtrise rapide de la pandémie par des moyens technoscientifiques nous montre clairement ses limites, nous laissant collectivement dans un certain désarroi et un sentiment d’impuissance propices à bien des dangers de dérives autoritaires et fascisantes.

Dans un contexte aussi délétère, la transition vers une stratégie qui consiste à « vivre avec le virus » dont parlent de plus en plus les États occidentaux incite à la plus grande des vigilances. Certes, il peut s’agir d’un moment charnière pour opérer le virage urgent et nécessaire vers des systèmes sociosanitaires qui tiennent mieux compte de l’imbrication complexe du vivant et du social et dans lequel la santé publique et la prévention (qui inclut la réduction des inégalités et la santé des écosystèmes) auraient enfin une place centrale et un financement adéquat. Mais ce changement de stratégie exige aussi inévitablement d’apprivoiser notre vulnérabilité tant individuelle que collective face à la précarité de la vie. Cela requiert beaucoup de sensibilité et de doigté, en particulier dans une société habituée à se croire au-dessus de tout risque. C’est pourquoi la seule idée qu’il revienne à des gouvernements néolibéraux d’opérer cette transition donne froid dans le dos. Prompts à faire porter sur le dos des individus (en particulier les femmes et les plus défavorisés) le poids des risques collectifs et de leurs politiques antisociales, ils le sont moins à assumer leur part de responsabilité lorsque tout s’effondre… Il faudra donc redoubler de vigilance pour que « vivre avec le virus » ne se traduise pas par une sorte de délestage renvoyant à des formes de darwinisme social.

C’est particulièrement le cas au Québec, ou François Legault parle maintenant de « refonder » le système de santé. Il faudra mettre toute la pression nécessaire pour qu’il ne décide pas seul (et encore moins par décret, comme il en a pris l’habitude) des nouvelles orientations de notre système sociosanitaire. En cette année électorale, osons espérer qu’il sera plus attentif aux critiques de la population…

Mais plus fondamentalement, il nous faudra aussi, comme société, trouver des moyens solidaires et bienveillants de parer à l’angoisse que représente la cohabitation avec un virus mortel – et avec les autres qui viendront si rien ne change dans nos rapports destructeurs avec les écosystèmes. Des moyens de conjurer collectivement la mort, à mille lieux de la parade libertarienne et puérile du « live free or die » qui fait rejeter toute mesure sanitaire au nom d’une toute-puissance fantasmée, bien en phase avec l’esprit néolibéral de notre époque…


[1] Mathieu Carbasse, « Le Québec, champion mondial du confinement ? », 24h, 20 janvier 2022.
[2] Isabelle Paré, « Les doses de rappel ne viendront pas à bout de la pandémie, selon des experts », Le Devoir, 13 janvier 2022.

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