Parlons éducation : de l’espoir pour l’école québécoise
L’auteur, syndicaliste et enseignant, a été président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec de 2009 à 2012
Le ministère de l’Éducation, à travers les gouvernements successifs, semble naviguer à vue et ne pas prendre la pleine mesure des graves problèmes qui touchent notre système scolaire. Pour contrer cette inertie et refaire enfin de l’éducation une priorité centrale, quatre organisations citoyennes ont lancé la démarche de réflexion collective Parlons éducation, qui se déroulera ce printemps par la tenue d’une vingtaine de forums aux quatre coins du Québec.
On n’en finit plus de signaler les nombreux problèmes de l’école québécoise : pénurie majeure d’enseignantes et d’enseignants, vétusté des écoles, obsession malsaine (de plus en plus décriée) de la réussite chiffrée des élèves et de la performance des écoles, et surtout, iniquité d’un système de ségrégation scolaire[1] – entre privé subventionné, public sélectif et public « ordinaire » – qui échoue lamentablement à réaliser le brassage social que l’éducation devrait permettre. Dans les faits, les clivages sociaux, que l’école devrait pourtant contribuer à gommer, s’aggravent. Un sombre portrait, qui ne doit cependant pas occulter les nombreuses petites merveilles et réalisations positives du personnel de nos écoles.
Soixante ans après le Rapport Parent, l’effort de démocratiser l’accès à l’école, à la réussite scolaire, ainsi que l’insertion sociale par les études demeure un chantier inachevé. De toute évidence, la société a connu depuis de profonds bouleversements, qui ont modifié notamment les rapports aux institutions et aux valeurs traditionnelles (famille, religion, identités collectives et individuelles) au sein d’un tissu social qui s’est distendu. À ces changements socioculturels, s’ajoute une proportion d’élèves issus de l’immigration en augmentation constante, en particulier dans les écoles montréalaises, ce qui modifie en profondeur le contexte dans lequel l’école doit s’acquitter d’une mission d’instruction et de socialisation de plus en plus complexe et soumise à des pressions de plus en plus nombreuses.
Parmi celles-ci, on ne peut passer sous silence l’explosion des médias sociaux et l’omniprésence du numérique ; malgré l’utilité incontestable des nouvelles technologies, il reste qu’un temps d’écran excessif chez les jeunes peut avoir un impact négatif sur leur parcours scolaire. Comme le montrent certaines études, il y aurait un lien entre un usage numérique problématique et l’augmentation dramatique du nombre d’élèves rencontrant des difficultés de socialisation et d’apprentissage[2]. Cette prépondérance du numérique dans le quotidien des jeunes élèves ne nous impose pas seulement de les aider à acquérir une littératie numérique critique devenue incontournable, mais aussi de leur enseigner à naviguer de manière sécuritaire à travers la pollution de notre environnement informationnel et à distinguer « l’info de l’infaux ».
Se dégage ainsi, face à des difficultés conjoncturelles ou récurrentes, une impérieuse nécessité de redéfinir la mission de l’école. Toutefois, les problèmes de l’école ne peuvent pas se résoudre à la pièce, car ils sont interreliés. Les solutions devraient pouvoir s’appuyer sur des diagnostics précis et découler d’orientations réfléchies et les plus consensuelles possibles, car l’éducation est une responsabilité collective. Aussi, les changements nécessaires doivent faire l’objet d’une adhésion large, particulièrement chez celles et ceux qui sont concerné·es au premier chef : les artisan·es de l’éducation, sur qui repose en priorité la mise en œuvre de ces changements.
Tout cela, d’une certaine manière, tombe sous le sens, et explique pourquoi d’éminents sociologues (tels que Guy Rocher et Claude Lessard) et des observateurs du monde de l’éducation (Marie-Andrée Chouinard et Normand Baillargeon, entre autres) ont réclamé du gouvernement, et cela à de nombreuses reprises, la mise sur pied d’une « Commission Parent 2.0 » ou la tenue d’une seconde édition des États généraux sur l’éducation.
Comment agir ?
Le gouvernement de la CAQ navigue en sens inverse d’une telle proposition, comme le faisait déjà celui des Libéraux avant lui. Les aménagements apportés au système scolaire sont le résultat de décisions prises sans écouter les avis des experts et des praticiens – pensons à l’extension des maternelles 4 ans – et souvent avec des intentions mal dissimulées – pensons à la loi sur la modulation de la gratuité scolaire[3] ou à celle ayant mené à l’abolition des commissions scolaires, deux lois qui débordaient largement de leur visée initiale et de leur justification. Chaque fois, il s’agissait de décisions prises rapidement, sans réel examen de l’ensemble de leurs impacts et sans débat public digne de ce nom. Sur la forme comme sur le fond, les rares consultations ministérielles en éducation laissent à désirer : le gouvernement gère et structure l’éducation dans la foulée des politiques néolibérales, entre autres celles développées par les organismes internationaux comme l’OCDE.
Dans ce contexte, il serait illusoire de faire pression sur le gouvernement pour obtenir une commission d’envergure sur l’état et l’avenir de l’éducation au Québec. La volonté politique n’y est pas. Et même si elle y était, comment ne pas craindre que l’actuel ministre de l’Éducation, qui refuse, à titre d’exemple, de reconnaître le problème de la ségrégation scolaire, ne soit pas tenté de biaiser les modalités d’une telle démarche ? Comment présumer qu’il en poserait correctement les termes et en respecterait les orientations ?
N’oublions pas les suites décevantes des états généraux sur l’éducation de 1995. La participation avait été importante, l’intégrité des commissaires et les modes de participation choisis avaient fait de l’exercice une authentique démarche collective de réflexion, mais tout cela n’a pas été suffisant. Il faut relire le rapport final de 1996 et se rappeler qu’il a mené, entre autres, à une réforme mal ficelée, fort critiquée et critiquable, alors que plusieurs recommandations importantes ont été abandonnées ou dénaturées, notamment celle de mettre un frein à la sélection académique des élèves pendant la scolarité obligatoire. Quoi qu’il en soit, plus de 25 ans plus tard, il est impérieux de faire le point et de repenser un système qui semble avoir perdu de vue les valeurs d’une école émancipatrice, équitable, inclusive et démocratique, et qui est par conséquent en manque de pilotage.
De gauche à droite : Patricia Clermont de JPMÉP, Stéphane Vigneault de l’ÉE, Jean Trudelle et Suzanne Chartrand de DPLÉ!, Lylou Sehili du comité des jeunes et Claude Champagne du MÉMO. Photo : The dream catcher
Parlons éducation : une entreprise citoyenne
En l’absence de tout signal, de la part du gouvernement, d’une intention de prendre les moyens de cette réflexion globale et nécessaire, quatre organisations citoyennes[4] ont, à l’initiative de Debout pour l’école !, décidé d’unir leurs forces pour mettre en place une vaste opération de réflexion collective sur l’état actuel et l’avenir de l’école québécoise. À partir d’un document de participation qui présente les thèmes retenus et qui servira à encadrer les discussions, celui-ci ayant lui-même fait l’objet de nombreuses consultations, les citoyennes et les citoyens qui s’intéressent à l’éducation sont convié·es à venir échanger et en débattre à l’occasion de 19 forums, qui auront lieu dans 18 villes du Québec. Un webinaire complètera cette tournée le 3 juin prochain.
Un important volet jeunesse a été mis en place parallèlement afin de recueillir l’opinion de celles et ceux qui fréquentent actuellement le système scolaire sur les thèmes abordés[5]. Un outil d’animation d’atelier a été préparé à cette fin et sera offert en milieu scolaire par toutes les personnes intéressées.
Outre l’objectif, déjà important, d’ouvrir un large espace de réflexion citoyenne, Parlons éducation constitue le début d’une démarche qui ambitionne, à terme, d’interpeller les pouvoirs politiques pour exiger qu’on s’attaque de manière signifiante aux problèmes de fond, et qu’on arrête de jouer à la politique du diachylon : l’école québécoise mérite mieux.
Calendrier et inscriptions : www.parlonseducation.ca
[1] Voir Anne Plourde, « Où en est l’école à trois vitesses au Québec ? », Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), 19 octobre 2022 et « Remettre le cap sur l’équité, Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016 », Conseil supérieur de l’éducation, septembre 2016.
[2] Voir Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital : les dangers des écrans pour nos enfants, Paris, Éditions du Seuil, 2019.
[3] Loi visant à préciser la portée du droit à la gratuité scolaire et à permettre l’encadrement de certaines contributions financières pouvant être exigées, adoptée le 6 juin 2019.
[4] Debout pour l’école !, Je protège mon école publique, le Mouvement pour une école moderne et ouverte et L’École ensemble.
[5] Parlons éducation est centré sur le préscolaire, le primaire et le secondaire.