© Le Sémaphore (15 février 2023)
30 juin 2023

L’entrepôt Van Horne au cœur des luttes pour l’habitabilité

L’auteur est chercheur postdoctoral au département d'études urbaines et touristiques de l’UQAM

En réponse à la multiplication des déclarations aberrantes de François Legault et de la ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau ces dernières semaines pour défendre le projet de loi 31, le collectif montréalais d’art public Le Sémaphore a eu l’idée d’utiliser les murs de l’entrepôt Van Horne pour projeter un « bêtisier de la crise du logement ». Pour la deuxième fois en seulement quelques mois, le collectif a créé le « buzz » en se servant de cet entrepôt pour une action. Mais pourquoi ce lieu est-il devenu significatif pour la mobilisation citoyenne contre les dérives immobilières ? Voici un petit retour en arrière pour en comprendre les enjeux.

Le 15 février dernier, le collectif Le Sémaphore projetait plusieurs messages immenses sur l’icônique édifice industriel du 1, avenue Van Horne, dans le Mile End. On pouvait en effet y lire les slogans suivants : « Logements sociaux », « Nous sommes là », « Ateliers d’artistes », « Coop d’habitation », « Lieu de création », « Plus de social, moins de luxe », « Eat the rich » et « Droit à la ville ». Mais que s’est-il passé avec ce bâtiment pour qu’il devienne en une nuit un symbole puissant des dynamiques spatiales et des luttes urbaines dans les quartiers centraux montréalais ? 

Le promoteur Rester Management a fait connaître en début d’année un pré-projet à l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal dans le but de convertir l’entrepôt en hôtel-boutique et en bureaux, agrémentés de restaurants et d’une terrasse sur le toit. Le Plateau-Mont-Royal a ensuite consulté la population via un sondage en ligne au sujet de la proposition de transformation, recueillant ainsi plus de 10 000 avis citoyens, ce qui est une participation exceptionnelle. Selon les résultats de la consultation, dévoilés le 3 avril dernier, près de 70 % des personnes répondantes se sont dites préoccupées par le projet. En fait, la grande majorité des répondant·es sont d’accord avec le changement d’affection du site et le réaménagement de l’espace public riverain. Le bât blesse lorsqu’il est question d’une vocation commerciale : 74 % sont en désaccord avec la présence de bureaux et d’un hôtel et 43 % avec l’ajout de commerces au rez-de-chaussée. Beaucoup sont d’accord avec une vocation culturelle, avec des locaux pour les organismes communautaires et, en général, une conservation du caractère historique du bâtiment. Surtout, 40 % des répondant·es désireraient que les pouvoirs publics construisent des logements sociaux.  

Or, comme l’arrondissement le souligne, la construction de logements, qu’ils soient sociaux ou autres, est impossible pour 3 raisons. D’abord, depuis 2015, il est interdit de construire du résidentiel à proximité de voies ferrées suite à la tragédie de Lac-Mégantic. Puis, le Plan de développement urbain, économique et social du secteur ainsi que le Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal prévoient une vocation strictement économique pour l’usage des sols dans ce secteur. Il est en effet ironique qu’un hôtel pourrait y voir le jour, mais pas des logements sociaux. Toutefois, le bâtiment serait idéal pour des ateliers d’artistes. Le Mile End s’est gentrifié rapidement en raison de la présence historique d’ateliers peu coûteux dans ces entrepôts abandonnés par l’industrie manufacturière dans l’ère post-fordiste. Or, les espaces de création à faible loyer se font de plus en plus rares dans le quartier, ayant cédé leur place à des bureaux d’entreprises de haute technologie (Ubisoft, Microsoft, Google, etc…). C’est ce qu’on pourrait appeler la période « Silicon Valley » du Mile End dans laquelle on se trouve encore aujourd’hui De plus, avec la fin du programme Accès-Logis (qui finance spécifiquement la création de logements sociaux et communautaires) annoncée par Québec, les perspectives de voir apparaître de nouveaux logements sociaux dans le Mile End sont plutôt sombres. Les différents paliers de gouvernements ne semblent pas préoccupés outre mesure par les besoins des résident·es les plus précaires des quartiers centraux montréalais. La gentrification continue ainsi de plus belle…. Et les promoteurs auront toujours le dernier mot, malgré des apparences de consultations et de démocratie, tant et aussi longtemps qu’un véritable droit à la ville – tel qu’envisagé par le philosophe Henri Lefebvre – qui permettrait l’autogestion des usages urbains par les habitant·es, n’est pas véritablement établi. 

L’art de rue proposé par le collectif Le Sémaphore aura permis de capter l’attention, tout en ouvrant des réflexions sur des usages autres des environnements urbains et du cadre bâti en général. Ces projectionnistes engagé·es ont réussi, avec peu de moyens mais une grande efficacité, à créer un « problème public » autour du dossier du 1, avenue Van Horne. Est-ce que la consultation aurait attiré autant d’avis et d’articles de journaux sans l’action du collectif Sémaphore ? Probablement pas. L’action citoyenne a le mérite d’avoir « braqué les projecteurs » sur ce projet et de l’empêcher d’emprunter la voie rapide. 

Pour l’heure, le promoteur Rester Management affirme prendre en compte les résultats de la consultation publique, alors qu’il est de retour à la table à dessin dans l’objectif de modifier son projet et de le re-soumettre éventuellement. La Ville a quant à elle démarré une évaluation de l’intérêt patrimonial du bâtiment. Rien n’est joué, mais prochainement, la mobilisation et la pression citoyennes* sur l’arrondissement du Plateau Mont-Royal et la Ville devront être maintenues pour contrecarrer les plans du promoteur et ainsi garantir la vocation collective et sociale du bâtiment.  

Entretemps, nul doute que l’entrepôt s’illuminera le soir par les actions inspirantes du Sémaphore… 

 

*Pour ne pas manquer les nouvelles au sujet du réaménagement de l’entrepôt Van Horne, nous vous invitons à suivre les groupes mobilisés sur cette question comme Mile End Ensemble, le Comité des Citoyens du Mile End, la CDC Plateau-Mont-Royal et le Groupe d’action citoyenne de Villeray et Petite-Patrie. 

 

 

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