Le gouvernement s’apprête à renouveler le droit de Glencore de nous empoisonner
Les auteures, Émilie Robert et Isabelle Fortin-Rondeau, sont membres de Mères au front de Rouyn-Noranda et Nicole Desgagnés est membre du Comité ARET (Arrêt des rejets et émissions toxiques).
L’autorisation ministérielle qui permet à la Fonderie Horne d’émettre jusqu’à 33 fois plus d’arsenic que la norme québécoise dans l’air de Rouyn-Noranda arrive à échéance et doit être renégociée. La santé de la population passera-t-elle enfin avant les profits de la compagnie ?
Les grandes cheminées
Éternelles comme l’enfer;
Quand le gaz m’a pogné
Chu v’nu tout à l’envers
– Richard Desjardins, Et j’ai couché dans mon char
L’Abitibi est un vaste territoire recouvert de forêt boréale et parsemé de lacs. Il s’agit d’une région « ressource » où on exploite principalement la forêt et le sous-sol. L’industrie minière est omniprésente sur le territoire et plusieurs des villes et villages sont nés de cette industrie. Leur tracé suit en bonne partie la faille de Cadillac, zone géologique particulièrement riche en or et autres métaux.
À Rouyn-Noranda, située sur un territoire non cédé Anishinabe, c’est autour d’une mine de cuivre que la ville s’est bâtie. En 1917, le prospecteur Edmund Horne découvre un riche gisement de cuivre autour du lac Osisko. Les promesses de fortune déclenchent une ruée. Deux villes jumelles émergent alors sur chacune des berges du lac. Rouyn au sud, Noranda au nord. Noranda est carrément conçue pour les besoins de la mine/fonderie, qui ouvre ses portes en 1927. Les habitations des ouvriers et de leurs familles sont construites au pied des installations et les maisons des patrons, quelques rues plus bas. La mine ferme en 1976, mais la fonderie reste en activité.
Aujourd’hui, la Fonderie Horne appartient à la multinationale Glencore et emploie autour de 650 personnes. Un des moteurs économiques de la localité, son importance est également symbolique.
Les cheminées font partie du paysage et la saveur âcre des émanations de souffre fait dire à la population que « ça goûte la mine ». On a parfois l’impression que la Fonderie et la ville sont une seule et même entité. C’est dire comme les événements des dernières semaines touchent le cœur même de l’identité rouyn-norandienne et suscitent de vives réactions.
« Tu sais ici, y’a les mines, y’a Dieu, pis y’a le reste »
En fait, les inquiétudes citoyennes ne datent pas d’hier. Déjà en 1984, Daniel Corvec, Robert Monderie et Richard Desjardins tournaient le documentaire Noranda pour dénoncer la contamination causée par la Fonderie et affectant la santé des résident·es et des travailleur·euses. Certains problèmes ont été atténués, surtout grâce à la mobilisation citoyenne, mais d’autres ont été occultés, à la fois par la compagnie comme par les autorités publiques. En 2018, la Direction de la santé publique (DSPu) de l’Abitibi-Témiscamingue a procédé à une étude de biosurveillance auprès des enfants de 9 mois à 6 ans du quartier Notre-Dame (le plus près de la Fonderie Horne) afin de tester l’imprégnation à l’arsenic, au plomb et au cadmium. En mai 2019, les premiers résultats de cette étude confirmaient une surexposition et une imprégnation des enfants à l’arsenic quatre fois supérieures en comparaison à la population témoin d’Amos. C’est alors qu’un comité de parents et de citoyen·nes mobilisé·es se forme, le Comité Arrêt des rejets et émissions toxiques (ARET), qui commence à documenter la situation, tant en ce qui concerne les dangers pour la santé de l’exposition à divers contaminants cancérigènes que les obligations légales et les responsabilités de la Fonderie en cette matière. Le Comité informe la population et alerte, sans succès, les décideurs locaux et régionaux.
En mai 2022, le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue a présenté de nouvelles informations sur l’état de santé de la population du périmètre urbain de Rouyn-Noranda ; ce fut une véritable onde de choc. Principalement, on apprenait que, comparativement au reste du Québec, la population compte 30 % plus de cas de cancer du poumon, 50 % plus de maladies pulmonaires obstructives chroniques et 25 % plus de bébés naissant avec un faible poids. Les chercheurs qui ont mené cette étude ont pris soin de vérifier s’il y avait des facteurs qui pouvaient expliquer ces écarts avec le reste de la population québécoise. Or, le nombre de fumeurs à Rouyn-Noranda n’est pas plus élevé que la moyenne québécoise et le radon ne serait pas en cause.
Un droit de polluer servi sur un plateau
Depuis 2007, les gouvernements successifs ont permis à la multinationale Xstrata qui opérait la Fonderie, puis à Glencore depuis 2013, d’émettre dans l’air de la ville beaucoup plus que la norme de 3 nanogrammes d’arsenic par mètre cube (ng/m3) dictée par la Santé publique. Pourtant, en 2004, un comité d’experts interministériel, composé notamment de toxicologues et de métallurgistes, recommandait qu’un seuil de 10 ng/m3 soit atteint en 18 mois et qu’un plan soit soumis pour atteindre la norme de 3 ng/m3 le plus vite possible. Ces recommandations sont demeurées sans suite. En vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement, le gouvernement Charest a accordé en 2007 une « attestation d’assainissement » (maintenant appelée « autorisation ministérielle ») permettant à la compagnie de rejeter jusqu’à 200 ng/m3. L’objectif d’une telle autorisation est en principe de réduire progressivement les émissions ; le seuil permis aurait donc dû être revu à la baisse tous les 5 ans au moment de son renouvellement. Or le ministère de l’Environnement a autorisé la Fonderie Horne à générer des concentrations de 200 ng/m3 pendant 14 ans ! En effet, ce n’est qu’en 2021 que le seuil maximum a été baissé à 100 ng/m3, soit la cible de l’autorisation qui vient à échéance en novembre prochain.
Autrement dit, notre gouvernement donne le droit à la Fonderie d’empoisonner nos enfants sans en subir la moindre conséquence ! L’arsenic est évidemment le polluant ciblé en priorité vu sa grande toxicité, mais l’air de Rouyn-Noranda contient également du cadmium, du nickel, du plomb, des métaux appelés « terres rares » et des dizaines de contaminants dont la majorité ne sont ni mesurés ni soumis à aucune norme.
Comme l’expliquait Maryse Bouchard à Radio-Canada, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal : « La situation de la Fonderie Horne est assez unique. C’est un cas de figure qui n’a pas vraiment été prévu quand on a élaboré les normes, que des personnes soient exposées à la concentration maximale permise non pas pour un, mais pour plusieurs polluants cancérigènes simultanément. »
Il faudrait par ailleurs souligner que des attestations d’assainissement, comme celle accordée à la Fonderie Horne, il y en a au total 89 à travers la province. De celles-ci, il y en aurait 8 qui peuvent contrevenir aux normes environnementales. Même si, aux dires du ministre de l’Environnement, le cas de Rouyn-Noranda est de très loin le pire, cette approche complaisante qui permet à des industries de faire passer leurs profits avant la santé des citoyen·nes est inacceptable.
Et ça se perpétue…
Voici donc le moment de renégocier l’entente ministérielle qui déterminera à quelle hauteur la Fonderie peut émettre de l’arsenic dans l’air de la ville.
Au fil des dernières semaines, les mauvaises nouvelles se sont accumulées. D’abord, on a appris que l’ancien directeur de la santé publique, Horacio Arruda, a retiré une annexe du rapport de biosurveillance de 2019, cachant ainsi à la population de l’information en lien avec l’incidence du cancer du poumon à Rouyn-Noranda. Un collectif de 50 médecins et professionnel·les de la santé de la région de Rouyn-Noranda a fait une sortie dans les médias demandant le respect de la norme provinciale d’arsenic et d’autres métaux lourds, la Fonderie a brandi le spectre du déménagement d’une partie du quartier Notre-Dame, des études ont révélé l’ampleur de la contamination autour de la ville (y compris de l’eau, la faune et de la flore) et on a découvert que la Fonderie traite toutes sortes de matières dangereuses, verdissant ses actions en parlant de recyclage et enfouissant de l’arsenic à même son terrain… Le 24 août dernier, Radio-Canada a aussi fait sa propre enquête sur les niveaux d’arsenic dans les poussières retrouvées à l’intérieur des maisons et a trouvé des concentrations bien au-dessus des critères sécuritaires… pour un terrain extérieur ! La liste s’allonge et les mauvaises surprises ne se comptent plus.
Des citoyen·nes, dont de nombreux parents, se sont exprimés lors d’assemblées publiques, de rassemblements et au conseil de Ville. L’inquiétude, la colère et la culpabilité sont dans tous les cœurs.
Le 10 août dernier, la Santé publique, après des analyses de ses experts, a recommandé l’atteinte d’un seuil jugé sécuritaire pour les problèmes les plus graves qui s’observent à court terme (et donc excluant les cancers). Ces problèmes d’ordre développementaux et neurocognitifs seraient évitables à un seuil de 15 ng/m3 d’arsenic. On comprend ici que ce seuil vise à protéger à court terme les jeunes enfants et les enfants à naître. C’est pourquoi la Santé publique en recommande l’atteinte dans les plus brefs délais.
Cinq jours plus tard, le ministre de l’Environnement a annoncé qu’il proposait l’atteinte de ce 15 ng/m3 dans cinq ans, soit au terme de la prochaine autorisation ministérielle. Cinq ans sans que le « seuil protecteur » ne soit atteint !
Les groupes citoyens, dont nous faisons partie, déplorent l’échéancier proposé par le ministère. Il nous apparaît incontournable de fixer un délai rapide à l’atteinte de ce nouveau seuil. Après tout, une grossesse ne dure que neuf mois !
Sans parler de la norme provinciale de 3 ng/m3, qui semble tout simplement reléguée aux oubliettes. Il va sans dire que cette annonce a laissé un goût amer.
La compagnie a ensuite dévoilé son plan. Elle suivra les directives gouvernementales et il lui en coûtera 500 millions de dollars. Elle demandera fort probablement l’aide financière du gouvernement pour les atteindre.
La prochaine étape : des consultations publiques qui se déroulent entre le 6 septembre et le 20 octobre. On demande aux différents groupes concernés (la Fonderie, les travailleur·euses, les citoyen·nes, les militant·es) de faire valoir leur point de vue alors qu’une norme claire existe déjà. Avec un brin de cynisme, on pourrait reformuler la question ainsi : jusqu’à quel point êtes-vous prêts à être contaminés pour que la Fonderie conserve ses mirobolants profits ? Comme si de simples individus luttaient à armes égales face à une multinationale. Comme si les graves conséquences d’être exposés à des rejets toxiques pouvaient se mesurer aux avantages financiers sur un pied d’égalité. Les citoyen·nes qui sont affecté·es par les rejets de la Fonderie ne sont pas que des statistiques. Ce sont nos proches, ce sont des gens que nous côtoyons, ce sont nos enfants.
Douce poubelle
En 2021, la Ville de Rouyn-Noranda s’est dotée d’une image de marque et d’un slogan qui visait à représenter tous les attraits qu’elle possède : Douce Rebelle. La ville possède en effet de nombreux charmes, c’est un endroit d’où la nature est facilement accessible, où le rythme de vie est agréable, les activités culturelles nombreuses et les gens chaleureux. Malheureusement, la situation actuelle fait des ravages sur son image. Rouyn-Noranda, douce poubelle… On voudrait tellement mieux pour nous et notre milieu !
Des fonderies de cuivre, il en existe ailleurs dans le monde et leurs émissions n’ont rien à voir avec celle de Rouyn-Noranda. La Horne fait partie d’une courte liste de fonderies qui acceptent des concentrés qui acceptent des concentrés riches en arsenic, des concentrés d’antimoine, etc. Quand la compagnie prétend ne pas pouvoir réduire ses émissions, nous sommes sceptiques. Sans être spécialistes, il nous paraît évident que de ne plus accepter ces intrants hautement toxiques réduirait automatiquement les rejets ! Le plan d’affaire de la Fonderie pourrait être revu dans cette perspective, mais ça ne semble pas dans les plans de la compagnie. Il semble que ces matières, dont personne d’autre ne veut, sont les plus rentables pour les actionnaires…
À son tour, notre génération doit se battre pour faire respecter son droit à respirer un air sain. Force est de constater qu’on ne peut demander à l’industrie de s’auto-réguler : l’État doit jouer son rôle de protecteur, ce que ne semble pas comprendre le gouvernement actuel ni les précédents. Nous sommes déterminées à ce que cette situation se règle enfin. Une chose est certaine, le laisser-faire ne peut plus durer !