Avril 2012 : souvenir des femmes innues en marche pour la Terre
L’auteure, innue de Maliotenam, a été une des instigatrices de la Marche des femmes innues pour la Terre entre Maliotenam et Montréal, en avril 2012
Dix ans après la grève étudiante de 2012, comment se rencontrent nos mémoires personnelles avec celle, collective, de ce moment politique majeur ? Tous les 22 de chaque mois, nous publions ce printemps sur notre site Web un témoignage inédit pour scruter les mémoires sur ce mouvement social sans précédent, ses héritages et ses résonances actuelles. Sans verser dans la nostalgie ni l’abus de commémoration, cette série de regards croisés cherchera à toucher à ce qui retentit encore en nous depuis le « printemps érable ».
Dans ce troisième volet de la série, Elyse Vollant, nous raconte ses souvenirs de la Marche Assi, qu'elle a initiée dans sa communauté de Maliotenam. Partie de la Côte-Nord, la marche a rejoint Montréal pour contester le Plan Nord devant le siège social d'Hydro-Québec et converger avec l'immense manifestation du Jour de la Terre, le 22 avril 2012.
Kuei, je me nomme Elyse Vollant, originaire de Maliotenam.
Il y a 10 ans, en mars 2012, j’ai été l’une des femmes arrêtées et emprisonnées lors du blocage de la route 138 organisé par des membres de la communauté de Maliotenam. Nous protestions contre la construction – sans le consentement des Innus – du barrage de La Romaine et contre le Plan Nord annoncé par le gouvernement Charest un an plus tôt. Cette arrestation m’a mise dans une grande colère. Je ne suis ni une meurtrière, ni une voleuse, mais on me traitait comme une criminelle alors que je voulais simplement protéger le Nitassinan, le territoire ancestral du peuple Innu, pour les générations futures.
Quelques jours plus tard, en regardant les nouvelles où on parlait des étudiants et des étudiantes en grève, j’ai pensé : pourquoi les médias ne parlent-ils pas de l’arrestation des Innus et du démantèlement du blocage de la route par les forces policières ? À son retour du travail, j’ai discuté avec mon conjoint de l’idée de faire une marche à relais jusqu’à Montréal pour se rendre à la grande manifestation du Jour de la Terre, le 22 avril, nous faire entendre. Il m’a dit qu’il faudrait marcher au moins 28 à 30 kilomètres par jour pour être là à temps. Et c’est ainsi que la marche a pris forme. Le 1er avril 2012, au son du tambour, le Teuaikan, nous avons chaussé nos mocassins et cette aventure de 900 kilomètres a commencé. La première journée a été très difficile, nous n’étions pour la plupart pas en forme ! Mais le courage de chaque femme lui a permis de continuer cette marche, en pensant aux générations futures.
Se reconnecter avec la Terre-Mère
Au départ, c’était cette question qui m’habitait le plus : qu’allons-nous leur laisser à ces générations ? Nos ancêtres ont toujours protégé le Nitassinan et nous, qu’allons-nous laisser à ceux et celles qui viendront après nous ? Mais plus j’avançais, plus je pensais à mes ancêtres et plus je savais que cette marche me reconnectait avec la Terre-Mère. Ce fut une reconnection avec mon identité, celle d’une femme innue qui croit en la protection du Nitassinan. À un moment, j’avoue que j’ai voulu abandonner ; mais mon père m’a soutenue en me disant que je devais terminer ce que j’avais commencé. Plus je cheminais et plus je savais que ce n’était pas seulement pour mes enfants et petits-enfants, mais pour toutes les générations futures de la planète que nous faisions cette marche. Notre Terre-Mère nous laisse encore marcher sur elle, mais pour combien de temps si nous continuons de détruire notre habitat ?
Une fois à Montréal, nous avons manifesté devant le siège social d’Hydro-Québec. C’est là que nous avons fait la rencontre des étudiants et des étudiantes en grève. Je me rappelle qu’ils et elles criaient : « À QUI LA RUE ? À NOUS LA RUE ! » en venant appuyer notre manifestation. Ils et elles croyaient en leur grève sans doute autant que je croyais en notre marche. De cette rencontre bénéfique, des solidarités ont pu naître. Le soutien des étudiants et des étudiantes a contribué à donner un peu plus de visibilité à notre marche. Nous partagions notre forte opposition au gouvernement, considérant, pour notre part, qu’il niait nos droits, tandis que les étudiants et étudiantes décriaient son obstination à ne pas reconnaître leurs revendications. Un beau lien s’est créé après cette rencontre.
Photo : Annabelle Fouquet
Jour de la Terre
Puis, le jour J est enfin arrivé. Imaginez, lors du Jour de la Terre 2012, j’ai parlé devant 300 000 personnes rassemblées au centre-ville de Montréal, pour dire entre autres : « MAMU MAUAT TSHIEUTIN ATUSSEUN. NON AU PLAN NORD ! » Je crois encore, dix ans plus tard, que nous devons penser aux générations futures pour qu’elles aussi aient un territoire où respirer l’air pur. Arrêtons de détruire le Nitassinan ! Cette lutte et celle pour protéger la Terre-Mère sont loin d’être terminées. Elles doivent faire appel au plus grand nombre possible. Aujourd’hui, je travaille avec les jeunes de ma communauté, je leur enseigne la danse de pow-wow, une autre manière de les reconnecter avec notre Terre-Mère et d’apprendre à la respecter, à faire attention à elle pour qu’elle nous laisse toujours continuer à marcher et danser sur elle ! Nous appartenons tous à la Terre et nous sommes tous et toutes les gardiens et gardiennes du Nitassinan ! J’espère que notre marche et notre témoignage continueront d’inspirer le courage de poursuivre le combat.