10 janvier 1995

Référendum: où sont nos priorités?

Référendum: où sont nos priorités?

 

Dans le débat qui s’amorce autour de l’avenir constitutionnel du Québec, il serait utile de réfléchir d’abord aux priorités que chacun se donne: la souveraineté est-elle une fin en soi ou n’est-elle qu’un moyen, privilégié par plusieurs, au service d’un autre objectif plus fondamental?

La volonté du nouveau gouvernement québécois de faire du débat référendaire une démarche non partisane est certes louable. Tout comme celle d’associer la population du Québec, dans toutes les régions, à la définition du projet collectif qu’implique la souveraineté.

Mais ce que l’on peut reprocher au Parti québécois de Jacques Parizeau, c’est d’avoir fait de la souveraineté une fin en soi. Ce qui rend plus difficile la participation de plusieurs aux commissions régionales sur l’avenir politique du Québec, et surtout, ce qui risque de polariser inutilement davantage un débat référendaire par nature divisif.

Pour nous, comme pour de nombreux groupes québécois, la souveraineté est un moyen privilégié au service d’un projet de société plus juste pour le Québec.

Mais ce que nous poursuivons comme objectif, c’est d’abord le projet de société. Nous croyons, dans l’état actuel de la réflexion, que la souveraineté offre de meilleures chances que la situation constitutionnelle inextricable dans laquelle le Canada tout entier se débat depuis tant d’années, de construire la société québécoise que nous voulons pour nous et nos enfants. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est de construire cette société plus juste, et non pas «d’avoir raison» sur les moyens pris pour la réaliser.

Cette différence de perspectives nous paraît capitale. Car l’avenir du Québec concerne évidemment tous les Québécois et toutes les Québécoises. Et définir cet avenir d’abord dans son contenu avant de s’attarder à la forme est une tâche à laquelle participeraient bien plus volontiers tous les citoyens et les groupes du Québec, quelles que soient leurs allégeances partisanes.

D’ailleurs, on le constate chaque jour, l’un des plus graves problèmes de notre société québécoise, comme de la plupart des sociétés occidentales, c’est la perte de confiance dans les institutions publiques et les personnes qui les représentent: chacun cherche de plus en plus à tirer personnellement son épingle du jeu et les solidarités collectives ne parviennent pas à refaire un tissu social effiloché.

Pourtant, les appels à la mobilisation collective n’ont pas manqué au cours des dernières années: Forum pour l’emploi, États généraux de la solidarité, Appel des 20 contre l’appauvrissement, lutte contre le marché noir et l’économie parallèle, et même tous les principaux discours du premier ministre Parizeau depuis son assermentation.

Mais comment initier cette nouvelle culture politique qui fait de chaque individu un citoyen conscient de ses responsabilités avant d’être un consommateur de services soucieux de ses droits? Comment convaincre les contribuables (les gros comme les petits) que le paiement intégral de leurs impôts et de leurs taxes est un devoir à l’égard de la collectivité plutôt qu’une calamité que chacun cherche à esquiver au maximum? Qui acceptera de bouger le premier, sans attendre que «l’autre» (le voisin, le patron, le syndicat, le gouvernement) ait d’abord changé? Comment amorcer la pompe du changement dans une société désabusée, où les promesses de changement sont le plus souvent restées lettre morte et où chacun s’est peu à peu réfugié dans le «chacun pour soi»?

Ces questions sont cruciales pour le Québec, qu’il opte pour la souveraineté ou pour rester dans le Canada. Le dynamisme de la société québécoise, sa santé économique, sa vitalité culturelle, sa cohésion sociale, bref son avenir, reposent avant tout sur sa capacité de mobilisation et d’entreprise.

Notre histoire est riche de cet esprit de «corvée» capable de rassembler voisins et villageois autour d’une tâche concrète. En cette époque de mondialisation des marchés, de concentration des entreprises et d’individualisation des besoins et des attentes, saurons-nous retrouver le goût de «faire ensemble», indispensable pour l’avenir du Québec, et à plus forte raison pour son éventuelle souveraineté?

Le référendum qui vient va nécessairement diviser l’opinion. Tant qu’on doit répondre par un oui ou par un non, le scrutin référendaire ne peut que manifester un clivage, plus ou moins profond. Mais il faut se préoccuper déjà de l’après-référendum. Quels que soient les résultats, il nous faudra continuer ensemble à construire un Québec plus juste pour nos enfants. Et la démarche que nous choisissons de faire maintenant peut rendre plus, ou moins, difficile cet après-référendum. C’est en ce sens que nous proposons de remettre la souveraineté à sa juste place, celle d’un moyen, et de redonner au projet de société que nous voulons bâtir pour le Québec de demain sa place centrale dans les débats qui s’amorcent.

Ce sera la meilleure façon d’y associer toute la population du Québec, de dégager les plus larges consensus et de préparer dès maintenant la collaboration future nécessaire entre partisans des diverses options constitutionnelles soumises à l’appui de ce projet collectif commun.

Texte paru dans Le Devoir, Éditorial, Opinion, mardi 10 janvier 1995, p. A8

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Le Centre justice et foi (CJF) est un centre d’analyse sociale qui pose un regard critique sur les structures sociales, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Il publie la revue Relations et organise différentes activités publiques, notamment les Soirées Relations. Son secteur Vivre ensemble développe une expertise sur les enjeux d’immigration, de protection des réfugiés ainsi que sur le pluralisme culturel et religieux.

Share via
Send this to a friend