10 mai 1997

L’école québécoise après les États généraux sur l’éducation (2e partie)

L'école québécoise après les États généraux sur l'éducation

Le compromis religieux: Dans un débat comme celui sur la confessionnalité,
aucune partie ne peut espérer une victoire totale

 

À quelles conditions le changement peut-il devenir réel et dénouer la crise récurrente? Le retour récent de la querelle nous indique assez clairement des exigences importantes qui n'ont pas été satisfaites jusqu'ici.

Assurer un climat de confiance

La première est la clarté des positions. La confiance ne règne pas entre les parties en présence, ce qui rend le soupçon facile. En particulier, le concept de laïcité est très vaste et a derrière lui une histoire, et particulièrement une histoire française plutôt turbulente. Il faut donc la définir, qu'on soit de la CEQ, de l'Alliance des professeurs de la CECM, de l'AEQ ou d'un autre courant. Les évêques français viennent de le faire, très positivement, dans une lettre du 9 novembre 1996. De ce point de vue, le rapport de la Commission des États généraux est peu prudent en tenant si peu compte de la divergence des mémoires et des exposés en audience, à tel point qu'un des rapports minoritaires de commissaires, celui de Gary Caldwell, peut soutenir que de 57 % à 63 % des mémoires soumis étaient en faveur de l'école confessionnelle, une situation qui ne laisse aucune trace visible dans le rapport final (Rapport, page 74). À tel point aussi que la notion de formation morale, dont il a été si souvent question pendant les audiences, est remplacée par celle de formation civique, deux réalités pourtant distinctes depuis longtemps, la seconde étant partie de la première.

Des responsabilités plus que des droits

Un deuxième condition de progrès dans le bras de fer actuel est que de part et d'autre on doive envisager d'adopter une position d'accommodement raisonnable plutôt que d'affrontement. Actuellement, il est évident que la deuxième attitude, celle de l'affrontement, a dominé de part et d'autre, dans les coalitions, dans les pétitions, dans les sondages.

Il est difficile sinon impossible d'expliquer cet affrontement par les seuls facteurs émotifs et irrationnels. La vraie explication me semble être que les deux parties ont de bonnes raisons en leur faveur. Les personnes et les groupes favorables à la confessionnalité s'appuient sur le droit prioritaire des parents et ce droit est clairement exprimé comme incluant le droit à un enseignement religieux, dans la Charte des droits et libertés du Québec (article 41, déjà cité). Ils s'appuient souvent aussi sur le caractère englobant de l'éducation chrétienne et donc du projet scolaire catholique, tel que rappelé encore au concile Vatican II. Les opposants s'appuient sur le pluralisme réclamé par la démocratie moderne et sur l'évolution concrète de ce pluralisme au Québec et particulièrement à Montréal.

Récemment, une étude attentive par un des bons spécialistes de la question compare entre eux 23 sondages faits au Québec entre 1964 et 1996 et montre à la fois la majorité et la division en concluant que: «On peut, à la lumière de notre analyse, raisonnablement soutenir que pour la majorité des Québécois (autour de 60 % dans l'ensemble du Québec, 50 % à Montréal), la religion catholique constitue, au regard de l'école, une référence globale dont le contenu et le potentiel peuvent varier à bien des égards selon les individus, mais qui, dans tous les cas, demeurent pour eux suffisamment porteuse de sens pour qu'appelés à choisir, l'école catholique leur apparaisse comme un bien à la fois désirable pour leurs enfants et préférable à d'autres types d'école.» (Jean-Pierre Proulx)

Renoncer à une victoire totale

Devant une telle situation, comment éviter de rechercher un compromis? Dans un débat de cette envergure et de cette complexité, aucune partie ne peut prétendre occuper toute la place ni obtenir tout le pouvoir. Mais faut-il ajouter deux précisions? La première, c'est que le compromis devra tenir compte d'une tendance lourde exprimée par une pétition signée par 282 000 personnes (10 décembre 1996). L'État et les éducateurs devront accepter d'écouter la décision locale. Car c'est dans l'équilibre de pouvoir entre ces deux forces normalement complémentaires, parents et éducateurs, que se situe tout le débat. Il me semble que les deux dernières phases de la crise démontrent à l'évidence qu'il faut dépasser les oppositions, réelles mais inévitables en démocratie, du conservatisme qu'on attribue souvent aux parents, de leur incompétence présumée, de leur faible participation aux débats et élections scolaires, tout comme de la capacité d'innovation que se réservent souvent les éducateurs et de la connaissance que leur donne leur présence quotidienne aux jeunes. Car s'il y a une liaison normale entre le professionnalisme des enseignants et l'autonomie de l'école, il y en a également une autre, aussi forte, entre la responsabilité de mettre des enfants au monde et celle de choisir leur éducation. Les deux ont besoin de pouvoir pour exercer leur responsabilité. Et est-il nécessaire d'ajouter que les deux, parents et éducateurs, doivent être considérés comme aimant ceux et celles qu'ils éduquent?

Un geste du plus fort

La deuxième précision me semblerait utopique et excessive si elle ne m'était suggérée par les personnes impliquées elles-mêmes. Je fais référence au mémoire du comité exécutif de l'Assemblée des évêques du Québec (Pour un effort culturel nouveau, 8 août 1995). Le mémoire appuie clairement son choix de la confessionnalité sur la volonté des parents. Mais il ajoute des nuances si importantes qu'on ne peut les ignorer: «Nous estimons que dans les milieux où le pluralisme est évident, là où le statut confessionnel cause de réelles difficultés, l'école publique sans trait confessionnel constitue un choix raisonnable […] La référence au souhait de la majorité des parents demeure, en l'occurrence, un critère démocratique reconnu et utile. Mais comme il s'agit de concilier des droits aussi importants et personnels que le droit à la liberté religieuse et le droit à l'égalité de traitement des citoyens dans les institutions publiques, le critère de la majorité n'a pas forcément le dernier mot. Il reste toujours aux conseils scolaires à [porter] un jugement [prudent], qui assure un juste équilibre dans le meilleur respect des droits de tous et la recherche du bien commun. Pour mieux éclairer la décision à prendre, on pourrait, en plus du critère de la majorité dans le choix des parents, prendre également en compte d'autres facteurs […] La morale catholique a toujours indiqué que personne n'est obligé d'aller au bout de ses droits et que, même lorsque "tout est permis, tout ne convient pas" (I Cor., 10,23)

Faut-il ajouter que les évêques du Québec ont déjà fait d'importants accommodements raisonnables, au pluralisme croissant, depuis 1982. Devant une position aussi ouverte, une position que l'Angleterre par exemple a préférée depuis plusieurs années et qui demeure toujours à examiner chez-nous, ne faut-il pas prolonger la démarche et dire: le système scolaire confessionnel du Québec ne changera que lorsque la plupart des parents le voudront. Et si quelqu'un peut les faire évoluer, ce sont les évêques du Québec. Peut-on souhaiter de façon pressante que cette ligne de pensée de l'AEQ, qui a eu jusqu'ici peu d'échos dans les médias, soit reprise par eux pour le grand public, particulièrement pour les parents et les éducateurs, avec plus d'insistance s'il le faut? La situation présente est particulièrement favorable à une telle insistance. La déclaration récente (25 mars 1997) de la ministre Pauline Marois propose un cheminement à première vue timide mais politiquement faisable et attentif au pluralisme de notre société et à sa continuité institutionnelle. Elle propose des commissions scolaires linguistiques, ce que toutes les parties acceptent, elle maintient la situation confessionnelle actuelle pendant deux ans, pour ensuite obtenir la décision des parents pour la suite, elle maintient d'ici là des programmes religieux et moraux et forme un groupe de travail en vu de créer un curriculum de formation culturelle aux religions, à soumettre à l'Assemblée nationale après commission parlementaire.

On peut toujours référer l'attitude pessimiste et considérer que Mme Marois est bloquée au même point que Camille Laurin il y a 15 ans. Je considère plutôt que nous sommes en position de sortir du cercle où nous tournons depuis 30 ans. Et cela, sans accroc à la démocratie. Surtout si les évêques acceptent d'insister de nouveau sur la position nuancée de leur mémoire aux États généraux sur l'éducation.

Texte publié dans Le Devoir, Idées, samedi 10 mai 1997, p. A11

Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre

Le Centre justice et foi (CJF) est un centre d’analyse sociale qui pose un regard critique sur les structures sociales, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Il publie la revue Relations et organise différentes activités publiques, notamment les Soirées Relations. Son secteur Vivre ensemble développe une expertise sur les enjeux d’immigration, de protection des réfugiés ainsi que sur le pluralisme culturel et religieux.

Share via
Send this to a friend