Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre
En juin 1982, il y a 15 ans, le ministère de l'Éducation, sous la direction du ministre Camille Laurin, publiait un Livre blanc intitulé L'École québécoise: une école communautaire et responsable. C'était 15 ans après le rapport Parent, terminé en 1966. On y envisageait une école publique beaucoup plus autonome, avec la possibilité de choisir la confessionnalité ou la laïcité.
La publication déclencha un débat considérable. Des coalitions se formèrent, pour et contre le projet, on sollicita de part et d'autre l'intervention des évêques, une guerre des sondages eut lieu (novembre 1982), l'opposition parlementaire fit valoir de nombreuses difficultés, les recours juridiques commencèrent, de telle sorte que le projet de loi 40, proposé à l'été 1984, fut abandonné en 1985.
Les essais d'ajustement continuèrent, plus discrètement. Ils aboutirent principalement à la loi 107, en 1988.
Peut-on toujours retarder?
Mais voici que tout recommence. C'est de nouveau le Parti québécois, cette fois sous Pauline Marois, à partir d'un projet annoncé par M. Parizeau au départ et réalisé par le ministre Garon, celui des États généraux sur l'éducation, qui a relancé le débat.
Comme en 1982, et pratiquement dans les mêmes termes et avec les mêmes protagonistes, le débat s'est aussitôt engagé: prises de positions dans les médias, formation d'une coalition pour la déconfessionnalisation du système scolaire et d'une autre en faveur d'une évolution du système scolaire pour et avec la population, signature de pétitions pour et contre le projet, interventions officielles des évêques et de plusieurs diocèses, dont Montréal, Saint-Jérôme et Saint-Jean, guerre de sondages où les différences d'accent modifient considérablement les résultats. Et on doit ajouter que le rapport de la Commission des États généraux vient compliquer le débat en recommandant de diminuer la subvention au secteur privé, qui aurait pu devenir le refuge de la confessionnalité, et que la Coalition pour la déconfessionnalisation ajoute, elle aussi, une complication en acceptant une dimension religieuse de l'école comme mesure de transition, plutôt que de compromis. Devant cette crise, la ministre a dû reculer, en annonçant d'abord un retard, puis un moratoire. Devons-nous prévoir ou pouvons-nous éviter une nouvelle décennie de guérilla?
Est-il possible de sortir du cercle?
On doit tout de même considérer que les deux périodes de crise, de 1982-85 et de 1995-97, nous fournissent des indices utiles, sur lesquels on peut essayer de réfléchir avec tous ceux que la question préoccupe. D'abord, il semble maintenant possible, sous toute réserve, d'envisager une modification par Ottawa du paragraphe 93 de l'AANB, qui impose constitutionnellement la confessionnalité catholique et protestante à Québec et à Montréal, même si le Québec n'a pas signé la formule de rapatriement de 1982. Reste à formuler cette modification de façon à protéger aussi les écoles anglophones. Ensuite, il est devenu plus évident que par le passé qu'on ne peut ignorer ni court-circuiter l'affirmation du droit des parents dans la Charte des droits et libertés du Québec: «Les parents ou ceux qui en tiennent lieu ont le droit d'exiger que, dans les établissements d'enseignement public, leurs enfants reçoivent un enseignement religieux ou moral conforme à leurs convictions, dans le cadre des programmes prévus par la loi» (article 41). Remarquons toutefois que ce point de droit garantit un enseignement religieux à l'école et non pas un projet religieux de toute l'école. Enfin, il est également devenu évident que la population n'accepte pas qu'on identifie ses convictions, chrétiennes ou autres, à sa pratique liturgique dominicale et qu'on la taxe en conséquence d'hypocrisie.
L'absence à la messe du dimanche ne dit gratuitement rien sur l'option religieuse d'un Québécois, surtout maintenant que l'Église catholique a cessé, et depuis longtemps, de l'exiger de façon explicite.
Que peut-on faire, alors, si on continue de penser que l'école publique et sa forme actuelle de confessionnalité, mitigée mais réelle, a intérêt à évoluer, qu'elle a même le devoir de le faire? Il faut d'abord reconnaître qu'une zone d'anxiété est compréhensible, surtout chez des Québécois de tradition ancienne: sans prétendre à l'immutabilité, une façon de vivre a besoin d'un minimum d'institutions durables, essentielles à sa survie. Et l'école est une de ces institutions.
Toucher à la confessionnalité scolaire québécoise?
Mais en reconnaissant ce souci, on doit se demander: peut-on prétendre que la confessionnalité scolaire fait partie de ce noyau dur? Surtout lorsque cette confessionnalité n'est protégée que dans le cas de deux façons de vivre la foi, catholique et protestante. Faut-il plutôt conclure que l'équité requiert de plus en plus que la majorité, même forte, renonce librement à conserver à l'école un lien explicite à une foi, tout en comptant qu'elle y retrouvera tout de même les valeurs qui se rattachent à cette foi? Oui, cela se peut, puisque d'autres pays l'ont fait. Et même la sagesse politique peut conseiller fortement à la majorité de ne pas réclamer tous ses droits ni même tous ses privilèges dans une telle situation. Ce que l'école publique, lieu principal de la transmission de l'art de vivre, doit conserver, c'est la dimension culturelle de l'héritage religieux, une dimension fondamentale, qui nous est indispensable pour nous comprendre entre nous, pour comprendre notre patrimoine ancien et une partie de notre patrimoine immigré, et pour vivre socialement en paix. Essayons d'imaginer ce que serait une école québécoise excluant la dimension religieuse de l'histoire, de la littérature, des arts, surtout dans un peuple qui a été aussi marqué par sa religion, sous quelque forme que ce soit. Cela requiert concrètement que notre école publique entretienne et développe une culture publique commune, incluant sa dimension religieuse. Je rappelle qu'il ne s'agit pas là de la seule culture de la majorité agrémentée de quelques ajouts mais d'une recherche commune à tous les courants culturels du Québec pour en dégager ce qui s'est développé de commun à nous tous pendant nos années et parfois nos siècles de convivance, ce qui nous unit tout en respectant nos différences; il ne s'agit pas non plus d'un modèle statique ni d'un modèle imposé d'art de vivre.
Des repères pour le contenu
Le Conseil des municipalités culturelles et de l'immigration (Gérer la diversité dans un Québec francophone, démocratique et pluraliste, décembre 1993) a tenté de préciser les principaux domaines de cette culture commune au Québec; elle comprend: le français comme langue commune officielle, les institutions publiques démocratiques, incluant la laïcité de l'État et des institutions publiques (dans leur texte, on réserve le cas de l'école, lorsque sa confessionnalité est protégée par la Constitution), un ensemble cohérent de valeurs et de normes qui les protègent, comprenant en particulier la Charte des droits et libertés et le Code civil, une mémoire commune évolutive, comprenant surtout une connaissance décente de l'histoire et du patrimoine du Québec, les normes et les pratiques d'un régime économique mixte, de type libéral, mais doué d'un souci social, un ensemble de comportements publics, souvent non codifié, une civilité et un respect des personnes. Il m'apparaît essentiel d'ajouter à cette description: une connaissance commune des religions acceptées ou pratiquées dans l'espace du pays. C'est la dimension culturelle des religions. Et il me paraît évident que l'école publique doit transmettre ce volet de la culture publique commune, un aspect aussi essentiel que les autres.