3 juin 2000

La place de la religion à  l’école

La place de la religion à l'école

La laïcité ouverte est-elle compromise?:
Réactions du Centre justice et foi au projet de loi no 118

 

Le Centre justice et foi a pris connaissance du document Une réponse à la diversité des attentes morales et religieuses accompagnant le projet de loi n° 118 sur la place de la religion à l'école, déposé le 10 mai dernier à l'assemblée parlementaire et déféré, le 25 mai, à la commission parlementaire de l'Éducation pour étude détaillée.

Les choix déposés par le ministre Legault nous laissent très perplexes. Nous saluons la décision d'abroger rapidement le statut confessionnel de l'ensemble des écoles du Québec et de déconfessionnaliser les structures administratives du système d'éducation. Nous nous réjouissons aussi de la reconnaissance accordée à l'animation spirituelle et communautaire, tant au primaire qu'au secondaire, et du nouveau soutien financier que le gouvernement s'engage à apporter pour ce service au primaire. Enfin, nous constatons avec soulagement que l'option communautarienne n'a pas été retenue, option qui aurait signifié une forme déguisée de statu quo dans certains milieux et un casse-tête insoluble pour d'autres. Nous croyons que la société québécoise répond avec plus de sagesse à son pluralisme en affirmant que "la religion ne doit pas faire sa place à l'école en dressant des frontières mais en se révélant plutôt facteur de cohésion, de tolérance et d'ouverture".

Nous reconnaissions, lors des audiences de la commission parlementaire, l'importance de prendre le temps nécessaire pour réaliser les changements indispensables au système scolaire. En effet, ceux-ci appellent une évolution des mentalités et ont des conséquences importantes pour les Églises, particulièrement l'Église catholique. Par contre, nous insistions pour que les perspectives et les échéanciers soient clairement exprimés lors de l'annonce d'une étape transitoire. Le silence sur les orientations à long terme dans les choix annoncés par le ministre et les messages contradictoires qui s'en dégagent nous inquiètent énormément. Le ministre a fait le choix d'une démarche pragmatique, avec la volonté de tenir compte de l'héritage chrétien du Québec et de l'évolution des mentalités; il se dégage ainsi de toute responsabilité envers une orientation à long terme qui pourrait être donnée sur la place de la religion à l'école. Pourtant, les choix mis sur la table ne sont pas totalement neutres et vont nécessairement influencer d'autres choix futurs.

L'équipe du Centre justice et foi est convaincue que le Québec est capable de se doter d'une laïcité qui se distingue des modèles français ou américain. Nous croyons qu'il est toujours possible de trouver un modèle à la fois respectueux de la liberté de conscience et de la diversité religieuse tout en abordant le religieux comme une expérience primordiale de la vie humaine sur laquelle il faut que chacun acquière une culture. Les modifications introduites par le projet de loi vont-elles permettre de contribuer à ce modèle de laïcité, à faire émerger une solution alternative sur la place du fait religieux dans l'éducation au Québec? L'option d'une laïcité ouverte, retenue par le rapport Proulx et mise en avant au Centre justice et foi, peut-elle se construire à l'intérieur du projet de loi actuel? Notre compréhension de certains éléments nous fait douter de la volonté gouvernementale d'accompagner la société québécoise dans cette direction.

L'esprit des orientations, qui se traduit par la réduction du temps d'enseignement, relève davantage du rapport Inchauspé que du rapport Proulx. En mettant plutôt moins que plus de religion à l'école, selon la suggestion de Pierre Lucier, le ministre donne suite aux recommandations du rapport Inchauspé qui préconisait le resserrement du temps pour certaines matières afin de consolider les éléments de la formation de base. Au primaire comme au secondaire, le temps sera réduit de moitié. Pour les enseignants du secondaire, cela voudra dire une multiplication peu réaliste de groupes auxquels ils devront s'adresser. Il s'agit donc d'une diminution de temps qui ne touche donc pas seulement les enseignements confessionnels mais aussi les cours d'éthique et de religion que l'on introduit ou que l'on aurait pu souhaiter voir s'ajouter à l'avenir.

L'introduction du cours d'éthique et de culture religieuse en secondaires 4 et 5 pose plus de questions qu'il n'en résout. Les principes directeurs énoncés dans le document peuvent nous donner bonne conscience; ils n'assurent toutefois pas une nouvelle formation pour les jeunes. Le choix d'accorder seulement 50 heures sur deux années pour ce cours, tout en voulant atteindre à la fois les objectifs de l'enseignement de culture religieuse et ceux de l'enseignement moral, nous semble compromettre dangereusement la qualité du contenu qui pourra être dispensé, particulièrement dans un contexte où l'enseignement confessionnel est maintenu aux autres cycles. C'est donner peu de chance à l'introduction et à la crédibilité d'un nouveau programme qui s'inscrit pourtant dans la ligne des repères qui semblent guider le gouvernement.

À la réduction d'heures s'ajoute enfin le flou complet entourant la création de nouveaux programmes au premier cycle du secondaire et l'absence complète de projets-pilotes au niveau primaire. La création de nouveaux programmes doit faire appel aux expertises déjà présentes dans certains milieux, mais elle doit assurer des ressources pour en assurer le développement. La seule bonne volonté des enseignants ne suffira pas à donner au Québec une nouvelle approche de la question religieuse à l'école, cohérente sur l'ensemble du parcours scolaire. Les nouveaux passages qu'il faudra vivre dans quelques années doivent se préparer dès maintenant. Le seul engagement explicite du ministère concerne l'amélioration du contenu de l'enseignement moral, un besoin que nous ne remettons pas en question. Mais cette réforme sans arrimage à un développement éventuel des cours de culture religieuse nous préoccupe. Doit-on comprendre que l'orientation sous-entendue du ministre est que nous nous acheminons progressivement vers une laïcité fermée où l'enseignement des questions religieuses n'aura plus sa place?

La reconnaissance du service d'animation spirituelle et d'engagement communautaire ainsi que les lignes directrices que semble mettre en avant la réponse du ministre constituent le seul signal favorable à un passage progressif vers une laïcité ouverte. Mais, là encore, les engagements du gouvernement pour en assurer la réalisation restent vagues. Pour qu'un tel service se "situe aux carrefours des courants et des influences qui marquent la vie des jeunes", il faut que les personnes engagées bénéficient d'une charge de travail réaliste et puissent assurer une présence significative dans une école, au primaire comme au secondaire.

La Commission de l'éducation ne peut pas entériner un projet de loi dont les orientations sont aussi ambiguës. Ses membres doivent opter pour un mode adéquat de consultations afin d'apporter des amendements qui assureront que le projet de loi pose clairement les balises d'une nouvelle approche de la religion dans l'école québécoise. Sans cet effort, le risque est grand de voir celle-ci s'acheminer progressivement vers une laïcité dans laquelle le fait religieux n'aurait plus sa place.

Le projet de loi actuel, par son maintien de l'enseignement confessionnel pour cinq ans, assure un temps nécessaire à l'Église catholique pour relever le défi de créer de nouveaux espaces de transmission de la foi. Des énergies importantes doivent donc y être consacrées très rapidement. Mais cela ne doit pas pour autant empêcher les catholiques de contribuer activement à redéfinir la question religieuse dans l'espace public. Dans cette nouvelle conjoncture du projet de loi n° 118, il revient aux chrétiens et aux croyants des différentes traditions de s'impliquer pour promouvoir une laïcité ouverte qui donne toute sa place au fait religieux dans l'école québécoise.

Texte paru dans le Devoir, Idées, samedi 3 juin 2000,p. A11

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Le Centre justice et foi (CJF) est un centre d’analyse sociale qui pose un regard critique sur les structures sociales, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Il publie la revue Relations et organise différentes activités publiques, notamment les Soirées Relations. Son secteur Vivre ensemble développe une expertise sur les enjeux d’immigration, de protection des réfugiés ainsi que sur le pluralisme culturel et religieux.

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