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Appréhender la pandémie du sida en contexte africain exige de tenir compte de plusieurs éléments de réflexion au coeur desquels il est urgent de placer la problématique des femmes. Le sida s’est posé comme défi de santé publique dans un contexte où, aux prises avec l’ajustement structurel, l’Afrique entrait dans les années 80, soit une ère de déconfiture sociale. De cet écroulement des acquis sociaux, les femmes vont, de façon particulière, porter le plus lourd fardeau.
Les statistiques parlent. Des 26 millions d’Africains porteurs du VIH, 55 % sont des femmes. Il a en effet été prouvé qu’elles sont physiologiquement plus vulnérables à la transmission du VIH. Apparemment légère, cette différence de 5 % trouve un sens particulier quand on considère la catégorie des jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans. Le taux d’infection chez elles est cinq fois supérieur au taux d’infection chez les jeunes hommes du même âge. Le caractère précoce de leur vie sexuelle, les violences subies en contexte de conflit armé ainsi que l’inaccessibilité aux soins de santé, à l’éducation et au pouvoir économique constituent des éléments d’explication.
Au défi de la santé, il faut ajouter celui de l’éducation des filles. Seulement 15 % des femmes africaines sont alphabétisées. Or, dans un contexte où le rapport des femmes au sida remet en question le rapport des femmes à la sexualité, au pouvoir économique et même au pouvoir démocratique dans la relation de couple, l’éducation devient un préalable à la lutte contre le sida, au même titre que l’accès à la propriété et l’acquisition d’un véritable pouvoir économique.
La compréhension des enjeux liés au sida, la nécessité de clarifier autant que possible le discours de prévention qui doit être conçu sans égard au statut civil des femmes, en dehors comme en relation de couple, l’urgence de ne plus assimiler le sida à la honte ou à une malédiction, etc.: ces objectifs ne peuvent être réalisés sans un investissement massif dans l’éducation en général et dans l’éducation populaire en particulier.
Crimes sexuels en contexte de conflit armé.
Souvent négligés, les conflits armés de longue durée constituent pourtant une clé de compréhension du taux élevé de prévalence du sida dans certaines zones subsahariennes.
La guerre génère le chaos social, produit des réfugiés et des déplacés de guerre et radicalise l’insécurité physique. À eux seuls, la région des Grands Lacs et la Corne de l’Afrique totalisent une population réfugiée et déplacée de 12 millions de personnes; le Liberia et la Sierra Leone, 600 000. D’après Pilar Estébanez (Le Monde diplomatique, décembre 2000), les risques d’infection chez les réfugiés rwandais étaient multipliés par six.
Dans le même ordre d’idées, 3,2 % des femmes interrogées après la guerre avaient été violées pendant et après le génocide; 17 % d’entre elles étaient séropositives. Ce constat est corroboré par l’ONU, qui a reconnu que le viol a été utilisé comme arme de génocide, notamment comme voie de propagation du sida. Les camps de réfugiés situés en Tanzanie ainsi que les sites de déplacés du Burundi, de la République démocratique du Congo et de la Sierra Leone n’échappent pas non plus à cette réalité, comme en témoigne le rapport E/CN.4/2001/73 de Mme Radhika Coomaraswamy, rapporteuse spéciale chargée de la violence faite aux femmes.
Qu’est la solidarité féminine devenue?
Vingt ans de ravages du sida ont mis en exergue la vulnérabilité des femmes africaines. Cette vulnérabilité ne s’analyse pas sous le prisme d’un phénomène intrinsèque aux femmes mais plutôt comme un fait lié à plusieurs facteurs exogènes.
Le mouvement des femmes a développé une approche féministe visant à démontrer l’impact des politiques néolibérales sur les femmes. Une grille d’analyse féministe existe aussi en ce qui concerne l’impact des conflits armés sur les femmes.
Il est grand temps que l’impact du sida sur les femmes mobilise le mouvement féministe à l’échelle internationale. C’est une question de justice sociale. Le sida ne se contente pas d’infecter ses victimes; ses effets affectent le tissu social dont les femmes sont le principal pilier. La responsabilité des 12 millions d’enfants africains orphelins du sida, pour ne citer que ce défi, se retrouve entre les mains des femmes.
Malgré toutes ces données, force est de constater un silence au sujet des femmes. Silence que l’on pourrait comprendre par le caractère indicible du phénomène du sida. En effet, en contexte africain, la perspective du sida reste la mort, une mort massive. Paradoxalement, le sida est transmis par le sexe, le sein maternel et le sang, qui sont des symboles de vie. Cependant, il convient de faire face à la stupeur et de déconstruire la maxime que l’on retrouve dans plusieurs traditions du monde, maxime qui veut que seul le silence sauve les femmes. Dans le cas des femmes victimes du sida et d’autres injustices, ce silence détruit.
Si des initiatives visant à remettre en question les rapports sociaux de sexe ainsi que les rapports Nord-Sud existent, elles ne peuvent être porteuses d’espoir que si elles s’inscrivent dans un vaste mouvement de solidarité internationale et dans une vision féministe. Aux femmes africaines de crier plus fort, et aux femmes du Nord d’en appuyer l’écho.