25 mars 2005

Enseignement religieux à  l’école

Enseignement religieux à l'école:
il ne faut pas reconduire les clauses dérogatoires

Le Centre justice et foi réfléchit à la place de la religion à l'école depuis de nombreuses années. Cette réflexion nous a conduit à prendre position en faveur d'une école publique commune, offrant à tous les jeunes des niveaux primaire et secondaire un programme d'enseignement non confessionnel du phénomène religieux. Nous avons défendu cette option à maintes reprises, particulièrement lors des États généraux de l'éducation, en 1995, et lors des audiences de la Commission de l'éducation sur la place de la religion à l'école (tenue dans la foulée du Rapport Proulx), en 1999. Les mémoires que nous avons déposés à l'occasion de ces deux importantes consultations – et qui peuvent êtres consultés au <www.cjf.qc.ca> – rendent compte de nos positions.

 

Un compromis à dépasser.

Au printemps 2000, après un large débat public, l'Assemblée nationale du Québec adoptait la loi 118 qui achevait le processus de déconfessionnalisation de toutes les structures scolaires. Cependant, par compromis social et politique, le ministre de l'Éducation de l'époque, François Legault, optait pour le maintien d'un enseignement religieux, catholique ou protestant, à l'intérieur de ce système. Il enlevait toutefois aux Églises leur droit de regard sur les contenus de cet enseignement.

Pour éviter que ce régime octroyant des droits uniquement à deux confessions religieuses ne prête flanc à des contestations juridiques, le gouvernement d'alors a reconduit les clauses dérogatoires, clauses auxquelles le ministère de l'Éducation du Québec a recours depuis 1984. Celles-ci, rappelons-le, permettent de se soustraire à l'application des droits fondamentaux garantis par les chartes canadienne et québécoise, tels que les droits à l'égalité de traitement et à la liberté de conscience et de religion.

D'ici au 30 juin 2005, le ministre de l'Éducation du Québec devra décider s'il reconduit la clause dérogatoire à la Charte canadienne des droits et libertés, clause qui protège les privilèges scolaires accordés actuellement aux seuls catholiques et protestants. Cette clause dérogatoire, qui ne peut s'appliquer que pour une période limitée, doit en effet faire l'objet d'une justification à tous les cinq ans si le gouvernement souhaite la maintenir. Le ministre devra aussi décider s'il abroge ou non la clause dérogatoire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui est maintenue aux mêmes fins.

 

Le statu quo n'est pas une option.

À la suite du Conseil des relations interculturelles, de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, du Comité sur les affaires religieuses et du Conseil supérieur de l'éducation, le Centre justice et foi demande que les clauses dérogatoires ne soient pas reconduites, et ce pour deux raisons.

Premièrement, parce que ces clauses sont discriminatoires envers les autres religions et les autres citoyens. Si ce mécanisme de dérogation est un instrument politique légitime – puisqu'il est prévu à l'intérieur même des chartes – il ne peut cependant être utilisé que de manière exceptionnelle. De fait, il doit être justifié par de graves motifs et son application ne saurait avoir un caractère permanent. C'est pourquoi, sur la base de l'évolution du pluralisme social et religieux du Québec, par fidélité aux valeurs fondamentales qui garantissent la justice et la paix au sein de notre société, et à la lumière du récent sondage de la Coalition pour la déconfessionalisation scolaire qui indique que 76 % des Québécois croient que l'école ne devrait plus offrir un enseignement confessionnel, il est nettement injustifié de prolonger davantage le régime de privilèges actuel.

Deuxièmement, comme l'observait récemment le Conseil supérieur de l'éducation, cette reconduction ne doit pas être faite parce que " le renouvellement récurant des clauses dérogatoires de cinq ans en cinq ans […] introduit une dynamique du provisoire qui a un effet délétère non seulement pour les orientations mêmes de l'enseignement de la religion, mais aussi sur l'organisation scolaire, les pratiques pédagogiques, les choix de carrière et la formation des enseignantes et des enseignants ". Dans ce contexte, défendre le statu quo, c'est se faire complice d'une fragilisation qui risque, à brève échéance, de mener à la disparition pure et simple de toute référence à la religion dans notre cursus scolaire.

 

Créer ensemble un nouveau modèle.

Au Centre justice et foi, nous pensons qu'un enseignement non confessionnel du phénomène religieux fait partie intégrante de la mission d'instruction et de socialisation de l'école. Cet enseignement permettrait aux élèves de se familiariser et de développer une capacité d'intelligence critique à l'égard des différentes religions et courants de pensée séculière qui marquent l'histoire et la culture universelle, tout en influençant le monde présent et notre société (entre autres à travers l'apport de l'immigration). De plus, comme le disait encore le Conseil supérieur de l'éducation, " un enseignement non confessionnel de la religion contribuera à faire participer l'ensemble des enfants du Québec, quelles que soient leurs origines, au patrimoine religieux québécois qui fait partie de l'identité nationale ". Un patrimoine qui est constitué, bien sûr, du catholicisme, mais également du protestantisme, du judaïsme et des spiritualités autochtones.

Notre parti pris pour ce modèle original et novateur relève de deux principes. D'abord de notre attachement à une société basée sur le respect des droits fondamentaux, ferment de la paix sociale. Ensuite, de notre volonté de mettre fin à un régime scolaire qui divise les jeunes sur la base d'une appartenance confessionnelle, au lieu de les rassembler au sein d'une même activité d'apprentissage à l'intérieur d'une école publique commune. Un enseignement non confessionnel du phénomène religieux contribuerait plutôt à la cohésion sociale, en permettant aux élèves de tous les horizons de développer, ensemble, l'habitude du dialogue civique qui est si nécessaire à la vie démocratique au sein d'une société pluraliste comme la nôtre.

 

Aller de l'avant.

Toutefois, pour que ce modèle puisse enfin être mis en place, il faudra une réelle volonté politique du gouvernement et une concertation de tous les acteurs sociaux du Québec. Or, depuis l'entrée en vigueur de la loi 118, le chantier est quasiment resté en l'état. Presque tout est à bâtir. Les enseignantes et les enseignants font face à un manque flagrant d'outils pédagogiques, de temps et de ressources. Dans ce contexte, peut-être serait-il nécessaire de prévoir une période de transition et, à la limite, reconduire les clauses dérogatoires pour un an ou deux? Auquel cas, cette mesure aurait seulement pour but d'élaborer les nouveaux programmes, et non de repousser indéfiniment la décision d'aller de l'avant.

À l'image de la société que nous voulons bâtir, l'école demeure le lieu privilégié d'apprentissage d'un vivre ensemble harmonieux, respectueux des libertés et des différences. La fin d'un régime scolaire basé sur les clauses dérogatoires marquerait donc notre volonté de permettre à tous et à toutes de s'intégrer véritablement et de contribuer ainsi pleinement à l'édification de la " maison commune ".

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Le Centre justice et foi (CJF) est un centre d’analyse sociale qui pose un regard critique sur les structures sociales, politiques, économiques, culturelles et religieuses. Il publie la revue Relations et organise différentes activités publiques, notamment les Soirées Relations. Son secteur Vivre ensemble développe une expertise sur les enjeux d’immigration, de protection des réfugiés ainsi que sur le pluralisme culturel et religieux.

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