Restez à l’affut de nos parutions !
abonnez-vous à notre infolettre
20 septembre 1999
Introduction
Au Québec, le centre justice et foi incarne la tradition jésuite d’analyse sociale. La pertinence de son travail ainsi que son apport original à l’Église québécoise sont largement reconnus. En tant que centre chrétien d’analyse sociale, nous sommes aussi soucieux de l’évolution du vécu religieux de notre société. C’est pourquoi nous avons pris part au débat sur la place de la religion à l’école, reconnaissant que ce débat concerne non seulement la société mais aussi l’Église. Dès 1992, le père Julien Harvey avait mis de l’avant sa proposition de laïcité scolaire ouverte, comme conséquence du concept de culture publique commune.
Aujourd’hui l’équipe demeure convaincue que cette proposition est une solution respectueuse de l’évolution de la société québécoise et de son héritage chrétien. Nous avons donc accueilli favorablement les propositions du rapport “Laïcité et religions, perspective nouvelle pour l’école québécoise”. Mais nous croyons que cette question interpelle aussi l’Église et c’est pourquoi nous adressons aux évêques du Québec ce mémoire sur la transmission de la foi aux jeunes générations.
Dans le mémoire que nous avons adressé à la Commission parlementaire1 , nous appuyons une réforme du système scolaire dans le sens d’une laïcité ouverte. Par cela, nous entendons non seulement l’abolition des structures confessionnelles, mais aussi l’introduction d’un programme universel d’enseignement non confessionnel du phénomène religieux et le respect du vécu religieux des élèves et de leurs familles. Nous précisons l’orientation que nous voulons donner à cet enseignement. Enfin nous proposons de procéder par étapes successives dans la mise en place de la réforme.
Nous sommes parfaitement conscients que le Rapport Proulx et les propositions que nous appuyons ont des conséquences importantes pour les Églises et, surtout, pour l’Église catholique dont nous sommes. Au Québec, on a souvent parlé du rôle de suppléance qu’a joué l’Église dans les domaines de l’éducation, de la santé et du service social. Mais dans l’éducation religieuse, c’est plutôt l’État qui a fini par jouer un rôle de suppléance. Nous croyons que le temps est venu d’y mettre fin.
Les récentes prises de position de l’épiscopat québécois sur la place de la religion à l’école ont suscité en nous tristesse et déception. Tristesse de voir l’Église réagir aux défis du monde et de la société d’une manière essentiellement défensive, en cherchant tous les moyens de conserver, le plus longtemps possible, les acquis du passé. Déception de ne pas voir l’Église profiter de cette occasion pour réfléchir sur le défi de la transmission de la foi dans le contexte actuel.
Nous pensons qu’il est temps de sortir de la peur et de la nostalgie. Il est urgent de cesser « d’avancer à reculons » dans un monde qui a besoin plus que jamais de la lumière décapante de l’Évangile. Nous avons besoin de leaders spirituels qui aident les chrétiens, et la population en général, à identifier les meilleures conditions pour la formation intégrale, y compris dans leur dimension spirituelle, des jeunes qui bâtiront le prochain siècle. Les chrétiens devraient plutôt être aux avant-postes d’une réflexion libre sur les exigences nouvelles de l’école dans le contexte de nos sociétés pluralistes et ouvertes qui sont à la recherche de nouveaux repères et d’une identité commune à construire.
Il est temps que l’Église prenne en charge la transmission de la foi aux jeunes générations sans s’en remettre à d’autres et qu’elle assume pleinement sa mission d’annonce de l’Évangile. « Le niveau de l’engagement confessionnel n’appartient plus à l’école, mais aux Églises et autres confessions religieuses: catéchèse, sacramentalisation, engagement communautaire et social au nom d’une option religieuse. L’État, n’étant plus confessionnel mais demeurant plus que par le passé soucieux de la richesse humaine de l’option religieuse, a accompli son rôle; il laisse les corps intermédiaires que sont les Églises accomplir le leur.2 »
Nous savons que les communautés de foi ont peu développé de ressources permettant d’assurer autrement la transmission de la foi et que cela représente un défi majeur pour les années à venir. Comme croyants, nous sommes convaincus que malgré les difficultés réelles que cela représente, les changements à venir sont une chance pour l’Église. Elle a la capacité de créer des lieux significatifs pour les jeunes qui répondront mieux aux attentes que nous avons concernant la transmission de la foi et la participation à la vie des communautés.
Après avoir porté un regard sur la situation actuelle et sur les évolutions récentes qui ont profondément modifié la foi chrétienne au Québec, nous proposons dans ce mémoire quelques pistes d’avenir et des points d’attention en vue de faire du neuf.
La société et l’Église connaissent de profondes transformations. La nouveauté des contextes dans lesquels nous évoluons fait que nous ne pouvons nous reposer sur les modèles connus. Nous sommes conviés à la créativité et à l’inventivité dans le domaine de la transmission de la foi.
1.1 Une société sécularisée
Nous ne sommes plus dans une situation de chrétienté où l’Église pouvait dicter aux individus et aux institutions leurs croyances et la conduite à tenir. Une distance et une autonomie se sont instaurées entre les institutions de l’État et l’Église, entre la société civile et l’Église. Aujourd’hui, même si de nombreux Québécois partagent encore et vivent des valeurs proches de celles de l’Évangile, on ne peut associer le fait d’être Québécois au fait d’être catholique.
Cette situation de laïcité n’est pas à considérer comme un mal ou comme une situation à laquelle il faudrait échapper à tout prix, mais comme une possibilité nouvelle offerte à l’Église. De nouveaux rapports entre l’Église et l’État sont à trouver pour que la foi chrétienne ne devienne pas seulement une affaire privée réservée à des individus mais une richesse pour la société tout entière. Ce qui suppose que l’Église apporte sa contribution à la construction de la société et aux débats démocratiques qui la traversent en sachant que d’autres voix peuvent également se faire entendre.
Cette situation de laïcité invite aussi l’Église à trouver un langage et un style qui puissent rejoindre l’ensemble des Québécois. Cet exercice n’est pas acquis une fois pour toutes. Il est sans cesse à pratiquer car beaucoup de malentendus existent entre l’Église et la société. Cela ne veut pas dire que l’Église ait à édulcorer son message. Il s’agit plutôt d’un travail d’inculturation de la foi dans la culture actuelle. La manière dont les chrétiens s’expriment collectivement est encore largement cléricale et pas suffisamment proche du langage quotidien.
1.2 Un contexte de pluralisme au sein de la société mais aussi de l’Église
Il est inutile de nous étendre sur le pluralisme dans la société québécoise et la recherche d’une culture publique commune. Plusieurs articles de Relations de ces dernières décennies ont abordé la question dans cette perspective3. On constate aussi l’accroissement du pluralisme des religions au Québec. Même si les adeptes de religions autres sont encore peu nombreux, ils ouvrent néanmoins un champ de pluralité qui modifie profondément la manière dont chacun se situe face à sa propre religion4.
Mais il vaut la peine de s’arrêter plus longuement sur le pluralisme qui s’exprime à l’intérieur de l’Église catholique au Québec dans son ensemble, et pas seulement à Montréal. Ce pluralisme concerne les réalités ethniques bien sûr, mais aussi le mode d’appartenance des catholiques aux communautés chrétiennes et la stratégie de distanciation de nombreux fidèles baptisés qui ne participent que très rarement à des rassemblements ecclésiaux. Enfin, il concerne aussi et surtout les croyances et la recomposition qui s’opère dans le credo personnel, chacun choisissant ce qui lui convient le mieux5.
Il est quasiment impossible, en cette fin de XXe siècle, de parler d’un catholicisme uniforme où l’ensemble des fidèles penseraient la même chose et adopteraient les mêmes comportements. La recherche d’unité au coeur de ce pluralisme est un des enjeux majeurs du prochain siècle.
1.3 Une revendication d’autonomie et une méfiance de l’institution
Ce qui frappe aujourd’hui, c’est la variété des parcours personnels, parcours de foi et quête de sens. On comprend de plus en plus qu’il y a quelque chose d’irréductible dans le chemin qui conduit quelqu’un à croire. En fait, on comprend qu’on ne transmet pas la foi mais ce qui peut en favoriser l’émergence. On comprend aussi de plus en plus que la foi est l’engagement d’un sujet qui dit je et qui revendique d’affirmer ce qu’il pense. Chacun refuse qu’on lui dicte ce qu’il doit penser. Chacun souhaite détenir la clé de la dernière décision de sa conscience. L’émergence du sujet constitue un défi inédit pour la réflexion chrétienne et pour la pastorale de l’Église.
En raison de cette émergence accrue, les individus se méfient des institutions qui risqueraient de les embrigader ou de les obliger à penser autre chose que ce à quoi ils adhèrent. Ce n’est pas tant la foi qui s’amenuise que le lien à l’institution qui se relâche. L’affirmation d’une conscience personnelle plus nette ne va pas contre l’Évangile, bien au contraire, mais elle bouscule de nombreuses manières de faire et de penser dans l’Église.
1.4 Une catéchèse encore très tributaire du Concile de Trente
Il est indéniable que les recherches catéchétiques de ce demi-siècle ont conduit à un renouveau appréciable de la catéchèse. Celle-ci a pris ses distances par rapport au petit catéchisme en questions-réponses et s’est appuyée largement sur l’expérience et la vie de l’enfant.
Notre catéchèse toutefois demeure encore très tridentine dans la mesure où elle met presque exclusivement l’accent sur la transmission d’un savoir sur la foi, qu’un adulte communique à des enfants. Tout se passe comme si les adultes savaient ce qu’il faut penser et dire. Le modèle de la transmission est celui de la reproduction. Dans ce modèle, les savoirs ne se construisent pas dans l’échange mais dans la répétition de l’identique. Or l’intelligence de la foi aujourd’hui demande de prendre en compte la manière dont les savoirs se construisent, la manière dont les jeunes apprennent.
Nous vivons dans un univers de communication où les savoirs s’échangent et se construisent dans cet échange. De multiples données sont disponibles. Et celui qui s’engage dans la foi doit trouver une cohérence qui n’est pas donnée d’avance. Elle est à réaliser par tâtonnements successifs. Le statut et le rôle des enseignants s’en trouvent profondément modifiés.
Dans un univers sécularisé et pluraliste, il devient aussi évident que les savoirs religieux ne suffisent plus à former des chrétiens. En régime de chrétienté, le monde ambiant était imprégné de pensée et de réflexes chrétiens. Il s’agit davantage aujourd’hui d’évangéliser la culture et de penser autrement les rapports qu’entretiennent la foi et la culture.
1.5 Les désirs et les craintes des parents
Les familles d’aujourd’hui sont plurielles et chacune d’entre elles demande à être respectée pour ce qu’elle est. Elles ne perçoivent pas que cela est toujours le cas de la part de l’Église.
Un bon nombre de parents souhaitent que l’enseignement religieux continue de se vivre à l’école car ils veulent transmettre à leurs enfants des valeurs qu’ils associent au christianisme. Selon eux, le cadre scolaire permet l’acquisition de ces valeurs et leur mise en pratique. Mais ils ne souhaitent pas nécessairement que leurs enfants aillent plus loin, c’est-à-dire qu’ils s’engagent dans une vie à la suite de Jésus Christ qui puisse conduire à une certaine contestation des manières de vivre habituelles et à un engagement pour la justice, par exemple, pour transformer le contexte sociopolitique dans lequel nous évoluons. D’autres craindraient un enseignement qui serait pris en charge par l’Église à cause des exigences que celle-ci transmettrait aux enfants, notamment dans le domaine de la sexualité.
D’autres parents encore voudraient bien transmettre quelque chose de leur foi à leurs enfants dans le milieu familial, mais ils se sentent dépassés par les transformations actuelles et se sentent incapables de formuler, en langage accessible aux enfants, ce qui les fait vivre. Ils craindraient donc d’être sollicités pour l’éducation de la foi de leurs enfants et préfèrent s’en remettre aux enseignants.
Certaines familles enfin désirent que l’Église reconnaisse davantage le rôle qu’elles jouent dans la transmission de la foi et souhaitent devenir des partenaires effectifs et compétents.
Ces souhaits et ces craintes sont légitimes mais ils montrent aussi que du chemin reste à faire pour que les familles soient partie prenante de la transmission de la foi aux jeunes et qu’elles se sentent concernées par la vie de l’Église.
1.6 La nécessité de mourir à une certaine image de l’Église
Tout cela indique qu’un deuil est à vivre, celui d’une Église puissante largement majoritaire qui sait où elle va et qui dit haut et fort où il faut aller. Il n’est pas sûr que nous ayons vraiment effectué ce deuil. Il comporte une face obscure et une face plus lumineuse. Obscure car il s’agit d’un arrachement, d’une mise en route. On quitte quelque chose de connu pour aller là où l’on ne voudrait peut-être pas aller. Déjà lumineuse puisqu’un jour nouveau s’annonce dont on ne connaît pas encore bien le contour et la couleur mais qu’on pressent prometteur d’avenir.
Ce regard sur la société et l’Église actuelle nous permet de conclure qu’il faut concevoir une foi qui fasse davantage appel à la liberté des personnes et à l’engagement communautaire, en sachant que les personnes font moins confiance aujourd’hui à l’institution pour les soutenir. Cette foi sera davantage exposée à la critique et au regard de ceux et celles qui ne la partagent pas. Elle ne sera crédible que si les chrétiens témoignent du désir de transformer le monde pour qu’il y ait plus d’égalité et de justice et d’un engagement pour que cela advienne effectivement. Ce désir de transformer le monde n’est pas séparable d’un désir de transformer l’Église pour qu’elle soit plus évangélique et davantage servante de la société, et par voie de conséquence d’un désir de se changer soi-même.
Ce contexte très nouveau et cette question ancienne (celle de la transmission) invitent à rechercher de nouvelles voies et à réfléchir à de nouvelles manières de faire. Impossible de reproduire des modèles déjà connus6 . Le terrain appelle à l’innovation mais les solutions ne sont ni faciles à trouver ni faciles à mettre en place. Elles supposent une conversion des mentalités et une relative claire vision de ce que l’on cherche.
2.1 Redéfinir la mission de l’Église dans l’annonce de la foi aux enfants et aux jeunes
Dès les débuts du christianisme, les chrétiens ont pris au sérieux la mission confiée par Jésus à ses apôtres: « Allez, de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, enseignez-les à garder tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 18-19). Il est bon de se rappeler que l’Église n’a qu’une Bonne Nouvelle à annoncer: celle de l’amour de Dieu, source de toute vie et de tout amour. Cet amour n’est jamais séparable de la justice, et le royaume de Dieu appelle l’une et l’autre. Cette Bonne Nouvelle concerne donc l’incarnation mais aussi le mystère pascal qui nous révèle que le mal n’est pas le dernier mot de l’histoire. Cette question du mal est aujourd’hui très prégnante et il est impossible de la contourner ou de l’esquiver.
Les communautés chrétiennes sont appelées à témoigner de cette Bonne Nouvelle à travers leurs gestes et leurs paroles, à travers leurs structures et leurs initiatives, à travers leur amour du monde présent tout en gardant le sens du discernement. Pour les chrétiens, la confession de foi s’enracine donc dans la vie des communautés et dans la vie du monde. L’une ne va pas sans l’autre.
Cette Bonne Nouvelle qui se propage par l’annonce et l’écoute de la Parole de Dieu fait appel au coeur et à l’intériorité. Elle invite à la conversion et à l’engagement des personnes dans l’exercice de leur liberté. Il vaut la peine de souligner cet aspect. Le Concile Vatican II a fortement affirmé la dignité de la personne et le respect de la liberté religieuse7 . Celle-ci est une valeur du christianisme à développer dès le tout jeune âge. Car l’adhésion de foi n’est jamais de l’ordre de la contrainte. L’enseignement de l’Église s’appuie sur la pédagogie de Dieu envers chacun et envers son peuple. L’annonce de la foi aux enfants et aux jeunes, ainsi qu’aux adultes, doit donc miser sur la liberté, la susciter et l’éduquer. Ceci est bien la mission des communautés de foi.
2.2 Entendre les besoins des jeunes, s’intéresser à leur culture et à leur monde, les considérer comme sujets à part entière
La culture actuelle met l’accent sur le sujet. Le texte de l’Assemblée des évêques du Québec: Annoncer l’Évangile dans la culture actuelle8, souligne bien cet aspect. Si le sujet est au centre des échanges, il convient de laisser la parole aux jeunes, d’entrer en dialogue avec eux et de mieux comprendre l’univers dans lequel ils vivent. Ils sont nés dans un univers technologique et la technique ne leur fait pas peur. Ils n’ont pas connu Vatican II. Ils n’ont pas connu les églises pleines à craquer. Ils ne sont absolument pas familiers du christianisme et ignorent souvent tout de lui.
Ne considérons donc pas trop cette connaissance du christianisme comme acquise. Donnons-leur la possibilité de vivre des expériences signifiantes concernant leur quête de sens et l’occasion de relire ce qu’ils vivent. Offrons-leur des espaces de questionnement avant de donner trop vite des réponses. « La communication ne dépend pas seulement des efforts déployés par un émetteur en vue de transmettre un message. La personne qui reçoit est également partenaire actif et de plein droit dans ce processus de communication de plus en plus conçu comme échange entre des interlocuteurs », affirme le texte de l’AEQ à la page 40.
On peut également penser qu’un enseignement religieux confessionnel conduit au désintérêt religieux, car il peut donner l’impression du déjà connu avant que les jeunes aient pu vivre une réelle expérience de Dieu, comme le souligne Paul Tremblay9 . Au lieu d’ouvrir un espace, il risque de l’obturer. Des études récentes en éducation montrent que la motivation d’apprendre surgit dans le manque. Or beaucoup de jeunes sont saturés d’informations et de centres d’intérêts dans notre société de surconsommation. Le principal obstacle à la religion à l’école n’est pas tant la multiplicité des religions mais la culture marchande actuelle, qui tend à rendre insignifiante toute recherche de sens, puisque pour elle, il suffit d’être branché et de consommer. En ce sens, un enseignement non confessionnel du phénomène religieux constituerait une sorte de propédeutique dans la prise de conscience de ce que constitue une expérience religieuse.
La soif de la quête de sens et l’intérêt pour les questions religieuses s’expriment souvent chez les jeunes dans un cadre non formel, dans lequel ils peuvent prendre un peu de distance par rapport à leur vie quotidienne. Transmettre la foi ne signifie pas d’abord transmettre une doctrine mais d’abord accompagner et donc commencer par écouter et respecter ce que vivent les jeunes. À l’heure de l’Internet, des festivals des films du monde, de la musique, de la chanson, l’Évangile trouve de nouveaux canaux pour se propager. Les adolescents y sont particulièrement sensibles10 . Inculturer la foi, c’est permettre à l’Évangile de se dire dans la culture actuelle, c’est discerner dans cette culture les forces de l’Évangile déjà à l’oeuvre et l’Esprit présent. C’est aussi lui permettre d’être une instance critique par rapport à cette culture.
2.3 Éveiller les adultes (familles, paroisses, groupes chrétiens…) à leurs responsabilités et fournir une formation à ceux et celles qui veulent faire une démarche dans leur foi adulte
Pour éclore et grandir, la foi a besoin de témoins actuels et passés. Jésus a donné à ses disciples le goût et le désir de prier le Père, en priant et en témoignant de sa relation à son Père qu’il osait même nommer Abba. La foi chrétienne ne réside pas dans des livres, mais dans des personnes; pas dans des édifices religieux, mais dans des pierres vivantes.
Ce témoignage se vit souvent à l’insu des témoins eux-mêmes. Néanmoins, il leur faut être prêts à rendre compte de l’espérance qui les anime (I P 3, 15), à pouvoir dire ce qu’ils croient et ce que la foi opère dans leurs vies. Cette prise de parole sur leurs actes et leurs raisons de vivre prend la forme d’un engagement personnel qui les implique. Il peut les conduire à rencontrer la contradiction.
Les adultes chrétiens du Québec sont-ils désireux de jouer ce rôle de témoins et de s’impliquer dans un témoignage de foi, par leur vie et leur prise de parole? Il semblerait bien que les familles soient encore trop timides à cet égard. Cependant leur rôle est irremplaçable et personne ne peut tenir la place qu’elles ont à tenir. Leur demander de vivre un éveil religieux en famille, ce n’est pas leur demander de prendre la place de ce qui se vit à l’école ou de ce qui se vit en paroisse pour l’initiation sacramentelle. C’est tout simplement les inviter à témoigner de la foi en Dieu qui les fait vivre. Encore faut-il accompagner les familles pour les aider à jouer ce rôle et reconnaître leurs expressions de foi comme de véritables expressions de la foi. Ce qui suppose entre autres de leur offrir des espaces de parole pour qu’ils puissent exprimer de ce qui leur tient à coeur.
Les communautés chrétiennes ne semblent pas encore prêtes non plus. Les catholiques, bien que souvent invités à former des petits groupes de partage de la foi par les pasteurs, ne semblent pas encore avoir pris la mesure de leur mission et de leurs responsabilités dans la transmission de la foi aux plus jeunes. Comment les enfants sont-ils accueillis dans les célébrations? Quels types de rencontres leur sont offerts? Pour de nombreux fidèles, la foi se confond encore trop avec une morale qu’il faut appliquer dans la vie de tous les jours, et pas suffisamment avec une Bonne Nouvelle que l’on reçoit, qui fait vivre et que l’on a, par conséquent, le désir de faire connaître à d’autres.
2.4 Penser une pastorale de la jeunesse
En Occident, nous avons pensé la pastorale comme un encadrement de personnes qui sont déjà nées à la foi ou que nous considérons comme telles. « Nous avons peut-être trop tenu pour acquis qu’au Québec, la première annonce de l’Évangile était un fait assuré pour tous… Une demande soutenue pour l’enseignement moral et religieux catholique dans les écoles publiques, et un appui incontestable en faveur de l’école confessionnelle ont vite fait de nous rassurer… On sait, en tout cas, que la fréquentation de l’enseignement moral et religieux catholique tend à être réduite dans la durée et que le décrochage est de plus en plus précoce et augmente en importance. Dans ce contexte, la statistique indiquant la proportion relative des enfants qui optent pour l’enseignement moral et religieux dans le secteur catholique risque d’être un trompe-l’oeil .11 »
Un changement de perspective pastorale s’avère donc nécessaire. Tout en sachant que le mot pastorale n’est pas très adéquat mais à défaut d’en trouver un meilleur, faudrait-il parler de pastorale d’engendrement à la foi, ou de pastorale d’initiation ou encore de pastorale d’accompagnement? Les familles, les paroisses mais aussi les mouvements doivent être partie prenante et constituer ce tiers secteur entre l’État et l’école. Encore faut-il qu’ils soient encouragés et soutenus par l’Église. Cette pastorale ne peut se limiter à la seule catéchèse et sacramentalisation. Elle doit offrir aux jeunes des possibilités et des lieux d’engagement où ils peuvent expérimenter ce que signifie être chrétiens. Elle doit aussi leur permettre de goûter l’Évangile.
2.5 Repenser et revoir l’initiation chrétienne des enfants et des jeunes
Les trois sacrements de l’initiation: baptême, eucharistie, confirmation, se célèbrent les uns après les autres mais le lien organique qui les unit n’est pas mis en valeur. Nous avons à l’heure actuelle une vision très morcelée de l’initiation sacramentelle. Des enfants sont baptisés dans leur petite enfance, puis ils suivent à l’école le cours d’enseignement religieux, souvent afin de préparer leur première communion et leur confirmation, puis perdent tout contact avec l’Église parce que l’Église ne les convoque plus, jusqu’à la préparation de leur mariage. Mais tous ne choisissent pas un mariage religieux.
La pratique du catéchuménat des adultes est totalement différente. Tout est pensé en fonction d’un véritable chemin initiatique. Les catéchumènes poursuivent un trajet qui respecte leur rythme personnel et qui les intègre progressivement à l’Église. Le baptême, la confirmation et l’eucharistie apparaissent comme trois facettes du mystère pascal. Et les catéchumènes perçoivent comment les sacrements nous « font » chrétiens.
Au niveau des enfants et des jeunes, tout est programmé. On se soucie peu du trajet de foi qu’ils parcourent ni du lieu d’où ils partent. Impossible de respecter le rythme de chacun puisqu’on sait qu’en s’inscrivant à la préparation sacramentelle, la première communion est fixée à telle date. Il est donc urgent de repenser cette initiation sacramentelle et de dessiner de nouvelles trajectoires, à l’image du catéchuménat des adultes, avec des étapes et des repères, mais aussi avec une grande souplesse dans le cheminement. Ce qui suppose d’abandonner les âges fixés pour le premier pardon, la première communion et la confirmation. Cette dernière mériterait d’être célébrée plus tardivement dans la vie des jeunes. Un nombre moins important de candidats en feront la demande, mais ces demandes risquent être plus motivées.
D’autre part, cette initiation sacramentelle est souvent déconnectée d’une initiation à la vie chrétienne. Les sacrements ne sont pas une fin en soi. S’ils nous associent au mystère du Christ, c’est pour que nous partagions sa vie et fassions de nos existences un lieu d’alliance avec Dieu et donc aussi avec nos frères et soeurs. Célébrer un sacrement est, en quelque sorte, s’engager aussi à changer le monde autour de soi. La vie filiale vis-à-vis de Dieu appelle à une vie fraternelle, les uns avec les autres. Celle-ci nécessite des apprentissages bien concrets et donc des lieux pour vivre ces apprentissages. Les enfants et les jeunes ont d’ailleurs besoin de vérifier si le discours qu’ils entendent se vit concrètement dans l’existence des chrétiens.
2.6 Quelle catéchèse?
Si un enseignement non confessionnel du phénomène religieux était mis sur pied, certains pourraient être tentés de récupérer ce qui se fait aujourd’hui à l’école comme enseignement religieux confessionnel, pour le transposer en paroisse. Ce faisant, on ne ferait que déplacer le problème, qui en est un de transmission inadéquate de la foi. Il faut innover avant qu’il ne soit trop tard. Le retard pris est déjà suffisamment grand. Des expériences de transposition ont en outre démontré l’impasse de cette voie.
Avant de mettre sur pied des parcours très structurés, il conviendrait d’expérimenter des catéchèses lors de temps forts liturgiques (tel le temps de l’avent ou du carême) ou existentiels (maladie, décès, rupture,…) qui seraient une démarche de toute la communauté mais avec des propositions spécifiques aux enfants et aux jeunes. Ces démarches feraient appel à la globalité de l’être humain à travers des expressions symboliques, l’utilisation du récit, de l’expression corporelle, etc., selon la psychologie des âges. Au coeur de ces projets, une attention particulière serait faite à l’éducation de la liberté et à l’apprentissage de la prise de parole sur des questions fondamentales de la vie humaine (pourquoi naître, vivre, mourir…, connaissance du Christ, de la Bible, de l’histoire des chrétiens du Québec et d’ailleurs, rencontre de témoins…), mais aussi à l’intelligence de la foi qu’il est nécessaire d’entretenir.
Il faut abandonner l’idée que l’enfance est l’âge par excellence d’une catéchèse systématique, organique et complète du mystère de la foi valable pour la vie entière. Ce modèle ne marche plus et l’initiation chrétienne se poursuit aux divers âges de l’existence de manière non linéaire.
2.7 Dans quelles communautés?
« Il ne faut pas sous-évaluer la formation de communautés chrétiennes qui soient d’authentiques lieux d’accueil pour tous, dans une attention constante aux besoins spécifiques à chaque personne. Sans ces communautés, il apparaît toujours plus difficile de grandir dans la foi, et l’on tombe dans la tentation de réduire cette foi à une expérience fragmentaire et occasionnelle, alors qu’elle devrait, au contraire, vivifier toute l’expérience humaine .12 »
On pourrait bien sûr rêver de communautés idéales! Sans aller jusque là, il va de soi de reconnaître que beaucoup de communautés paroissiales actuelles ne permettent pas à des jeunes de trouver leur place, car la différence entre les générations est si grande qu’un fossé sépare les pratiquants habituels d’un public pour le moins étranger à la pratique chrétienne. Un travail d’évangélisation est donc à reprendre à la base. Il nécessite de constituer des milieux de vie chrétienne propices à l’éclosion et à la consolidation de la foi. Ces milieux ne pourront qu’être divers tant les chemins et les approches sont aujourd’hui diversifiés.
Une piste d’avenir pourrait résider dans la constitution de groupes intergénérationnels où la qualité des relations, la démarche spirituelle et l’aspect festif seront fortement développés, sans oublier l’engagement dans la société en vue d’une recherche de justice et de transformation du monde. Des lieux moins cléricaux et plus égalitaires où l’on peut vivre des expériences signifiantes pour la foi (prière, célébration, approfondissement de la foi, dialogue avec d’autres religions, engagements divers…), à travers des projets à court et moyen termes. Les enfants et les jeunes y trouveraient leur place et participeraient à quelle chose de plus large que leur groupe d’âge. Ils ne seraient pas à côté de la communauté, mais avec elle. Cela ne se fera pas tout seul et demandera une forte volonté de faire bouger les choses.
Les perspectives esquissées plus haut peuvent paraître encore floues. Tout changement un peu radical ne s’accomplit que progressivement à travers des tâtonnements et parfois des échecs. Mais mieux vaut des bavures qu’un statu quo qui nous permet de nous voiler la face sur la situation réelle sans moindrement la transformer le moins du monde.
Dans un temps de recherche, il convient d’abord de mobiliser des personnes intéressées par le changement. C’est au nom de la mission et de l’urgence de l’annonce de la Parole qu’il est temps d’entreprendre quelque chose de neuf. « Malheur à moi si je n’évangélise pas! » disait saint Paul. S’engager sur cette piste ne sera pas de tout repos et il vaut mieux le savoir à l’avance pour calculer la dépense et voir les forces dont on dispose tout en faisant confiance à l’action de l’Esprit Saint. Les diocèses, les communautés chrétiennes, les forces vives pourraient élaborer quelques projets alternatifs en précisant les objectifs, la démarche proposée et des pistes pédagogiques pour les mettre en oeuvre, puis les expérimenter dans des terrains précis. Les perspectives devraient être suffisamment souples, tout en étant précises.
Il vaut mieux réserver ces innovations à des espaces clairement définis plutôt que d’en faire dès le début une large diffusion. Qui dit expérimentation dit aussi chances de réussite. Il faut donc réunir les conditions gagnantes. L’expérimentation suppose aussi de définir quelques règles du jeu. Un accompagnement d’animateurs et d’animatrices est à prévoir. Dans ce sens, il ne faut pas hésiter à recourir aux ressources qu’offrent les facultés de théologie, les départements de sciences religieuses, les centres de pastorale, etc. Enfin, une des conditions gagnantes est certainement l’implication des parents eux-mêmes dans les démarches entreprises.
L’Office de catéchèse du Québec a publié récemment un ouvrage pour la formation des bénévoles ecclésiaux.13 Ce document s’avère très précieux et ouvre de nombreuses pistes sans exiger un investissement considérable. Il constitue une bonne base pour un démarrage. On peut croire qu’avec un bon encadrement et de bons outils de formation, il sera possible de recruter des bénévoles pour l’accompagnement des jeunes à la foi autant qu’il est possible de trouver des bénévoles pour accompagner les jeunes dans les activités sportives ou culturelles.
Enfin, il faudra prévoir des évaluations locales des projets et la diffusion de ces informations à travers les instances diocésaines d’éducation chrétienne, d’initiation sacramentelle et les instances nationales pour voir ce qui se dessine et décider de ce qui peut être diffusé à plus large échelle. Ces évaluations n’excluront pas la contribution des parents et des jeunes générations elles-mêmes, tant au niveau du processus que des résultats atteints.
Ces nouvelles perspectives demanderont un investissement de fond. Certains prétendront que les finances de l’Église ne sont pas suffisantes. Le temps est venu de faire, en Église, une réflexion sérieuse sur les finances de l’Église pour décider où mettre les priorités.
Conclusion
Nous nous sommes situés dans ce mémoire dans la perspective où l’État légiférera tôt ou tard dans le sens des propositions du Rapport Proulx, que nous endossons sur le fond. En effet, nous le répétons, le statu quo de l’enseignement confessionnel de la religion n’est pas acceptable et aucune réforme, même avec l’approche communautarienne, ne saurait aujourd’hui, dans l’état actuel de la société, réussir à faire jouer à l’école le rôle d’initier à la foi chrétienne, même d’en poser des bases valables.
Le défi de la transmission de la foi chez nous appartient à toute l’Église du Québec, des pasteurs jusqu’aux parents en passant par tous ceux et celles qui peuvent être des ressources sur le plan intellectuel ou sur le terrain, sans négliger nos témoins privilégiés. Nous le reconnaissons, il s’agit d’un lourd défi à relever considérant que nous avons pris beaucoup de retard dans le domaine.
Cela ne veut pas dire pour autant que l’Église doive s’isoler et ne rien dire à l’État sur la question de l’enseignement culturel du phénomène religieux ni sur le service d’animation de la vie religieuse et spirituelle, advenant que l’État légifère dans le sens des propositions du Rapport Proulx. L’État sera seul responsable des programmes qu’il mettra de l’avant. Nous ne pensons pas qu’il soit opportun que les Églises aient un droit de regard sur ce que le Ministère de l’éducation produira dans la perspective de la laïcité ouverte et à contenu. Tout ce qui pourrait avoir même l’air de donner une voix privilégiée à l’Église dominante doit être refusé pour que soit sauvegardé le principe de la liberté religieuse et la séparation de l’Église et de l’État.
Toutefois, considérant que l’État au Québec consultera sans doute les principales Églises dans la création et l’implantation des futurs programmes d’enseignement et de pastorale, l’Église aurait avantage à jouer un rôle pro-actif dans ces consultations, c’est-à-dire à se préparer à l’avance à formuler ses suggestions au lieu de jouer un rôle défensif et stérile en s’y prenant trop tard. Des projets de programmes sont déjà sur la table et ne demandent qu’à être étudiés et bonifiés. Des regroupements d’agents de pastorale ne demandent qu’à être consultés et à mettre à profit leur expérience. L’État ne saurait faire fi de toute l’expérience accumulée par l’Église dans ses diverses ressources. Mais nous ne saurions le blâmer d’ignorer ce que nous n’aurons pas voulu lui transmettre.
________________________________________________________________________________
NOTES
1. Voir le mémoire du Centre justice et foi adressé à l’État et intitulé « Pour une laïcité ouverte au phénomène religieux », 10 septembre 1999.
2.« La laïcité scolaire pour le Québec », Julien Harvey, Relations no 583, septembre 1992.
3 Notamment en 1991, no d’octobre, articles de J. Harvey, T. Benguerel, A. Lamothe.
4. « D’un Québec pluriel à un Québec pluraliste », A. Bouchard, Relations, no 654, octobre 1999.
5. « Le catholicisme: espace pluraliste de la culture québécoise », R. Lemieux, Relations, no 654, octobre 1999.
6.« La transmission de la foi aujourd’hui », A.M. Aitken, Relations no 652, juillet/août 1999.
8. Annoncer l’Évangile dans la culture actuelle du Québec, AEQ, Fides, 1999.
9. “Les rendez-vous d’avenir”, conférence donnée le 12 novembre 1998 aux journées d’études de l’AQCSEC et AQPMR.
10. « Des catéchèse inculturées », Lumen Vitae, juin 1999.
11. Annoncer l’Évangile dans la culture actuelle du Québec, p. 94-95.
12. Paroles de Jean-Paul II à un symposium d’évêques sur les mouvements ecclésiaux et les communautés nouvelles, Documentation catholique, no 2209, p. 711.
13. Le coeur sur la main. Repères pour l’action bénévole dans les communautés chrétiennes, Office de catéchèse du Québec, Fides/Mediaspaul/Novalis,1998